mardi 25 février 2014

Ce n'est pas le déficit qui dérape.

La dernière mouture des prévisions de la Commission Européenne est disponible, et elle n'a rien de révolutionnaire. 

Pour la France (lien) , la Commission prévoit 1% de croissance en 2014 et 1.7% en 2015. Ces prévisions sont très proches de celles de l'automne dernier (respectivement 0.9% et 1.7% en 2014 et 2015, lien), très proches de celles retenues par le gouvernement pour l'établissement du budget 2014 (0.9% en 2014, lien), et légèrement plus pessimistes que celle du gouvernement dans son programme de stabilité d'avril 2013 (1.2% et 2.0% en 2014 et 2015, lien). 

Le premier message est donc : tout le monde est d'accord pour dire qu'en l'état actuelle de la connaissance, la croissance repartira en 2014, et accélérera en 2015. Les différences entre les différentes prévisions sont incluses dans la marge d'erreur.

En revanche, là où il y a des divergences, c'est sur les finances publiques. Dans tout exercice de prévision, il y a des variables dites "exogènes", c'est-à-dire qui entrent comme des paramètres dans le modèle. Si vous étudiez une petite économie ouverte sur le monde, ces variables comprennent, entre autres, la croissance mondiale (votre économie est trop petite pour influer à elle seule sur la trajectoire du monde) et les décisions de finances publiques prises par le gouvernement. Les autres variables, comme la croissance, sont dites "endogènes", car ce sont les équations du modèle et les paramètres en entrée qui vont les déterminer. 

Donc il est très important d'étudier le scénario retenu par l'institut de prévision. La croissance dépendra des mesures budgétaires retenues dans le scénario, et le déficit public final dépendra de la croissance et des mesures budgétaires retenues dans le scénario. 

Voici un tableau récapitulatif des deux dernières moutures de prévisions pour la France, faites par le gouvernement et la Commission

En jaune l'engagement de 3% en 2015 qui ne fait pas partie du Budget 2014


Les prévisions de la Commission sont les prévisions officielles de croissance sur lesquelles vont se fonder les instances européennes pour étudier la compatibilité ou non des projets de Loi de Finances et des Pactes de Stabilité avec la législation européenne. Elles sont établies en utilisant les mesures budgétaires votées, ou suffisamment détaillées pour être sur le point d'être votées (les prévisions d'automne utilisent le projet de loi de finance). En somme, les dernières prévisions pour 2014 et 2015, publiées aujourd'hui, sont faites en l'état actuel de la législation. Elles ne contiennent donc aucun des engagements (réels ou non) du gouvernement, ni aucune mesure annoncée depuis que le budget 2014 a été voté. Il ne sert donc à rien de comparer ce qui n'est pas comparable. Donc qu'est-ce-qui est comparable? 

Rentrons dans le détail. 

Pour 2013, les prévisions de la Commission en terme de croissance sont légèrement plus optimistes, c'est normal, l'INSEE a révisé depuis la croissance du premier et du troisième trimestre 2013. La Commission utilise donc les dernières données de l'INSEE. En terme de déficit, elles sont légèrement plus pessimistes que celle du budget 2014, en lien avec des recettes fiscales décevantes en fin d'année, la Cour des Comptes ayant déjà souligné le problème. Le déficit 2013 sera publié par l'INSEE fin mars prochain, on en saura plus à ce moment-là.

Pour 2014, des prévisions de croissance légèrement plus optimistes de la part de la Commission que du gouvernement, en revanche, la Commission n'est pas d'accord avec le gouvernement sur l'impact des mesures du budget 2014 sur le déficit (4% du PIB pour la Commission, contre 3.6% dans le Budget 2014). Là, il y a une vraie information. Sans avoir le détail du chiffrage des mesures, c'est difficile de prendre parti, mais en général la Commission tombe moins loin d'autant qu'elle établit ces prévisions presque 6 mois plus tard, avec beaucoup plus d'information en main. Par exemple, il y a exactement un an, elle prévoyait 0.1% de croissance et 3.7% de déficit en 2013, contre respectivement 0.8% et 3.0% pour le gouvernement. Le prochain exercice de prévisions du gouvernement aura lieu en avril, au moment du Pacte de Stabilité 2014-2018. Si le gouvernement s'aligne, les mauvaises langues diront que c'est parce que la Commission lui a tapé sur les doigts. 

En revanche pour 2015, comparer les engagements du gouvernement aux prévisions de la Commission n'a aucun sens. Les prévisions de la Commission ne prennent pas en compte les mesures annoncées mais ni détaillées ni votées, tandis que les engagements ne sont pour l'instant que des engagements. Dire que la Commission "contredit le gouvernement" parce qu'elle annonce que le déficit sera de 3.9% en 2015 alors que le gouvernement s'engage à le ramener à 3.0%, c'est débile, oui, mais c'est ce que dit la moitié de la presse française : Figaro, Les Echos, Le Monde

En fait, tout ce que la Commission dit, c'est qu'en l'état actuel de la législation, le déficit sera de 3.9% en 2015. Au moment de l'établissement du Budget 2015, elle étudiera les mesures décidées par le gouvernement, et dira si oui ou non cela permet d'atteindre 3.0%. Si ce n'est pas le cas, à ce moment-là seulement la France devra demander un délai supplémentaire. 

Finalement, le déficit baisse, on ne sait simplement pas encore exactement quand il repassera sous 3%, mais il baisse. A vrai dire, s'il pouvait baisser le moins rapidement possible, afin d'avoir un effet minimal sur la croissance et de ne pas étouffer le début de reprise que l'on a ça serait bien. 

Déficit Public en % PIB, INSEE jusqu'en 2012.
Commission : WF 2014
Gouvernement : LOLF 2014 puis engagement du Pacte de Stabilité en 2015

On le verra dans un post ultérieur, mais certains interprètent le Pacte de Responsabilité comme un tournant vers moins d'austérité. Il est possible que le gouvernement cherche délibérément à repousser la date à laquelle le déficit repasse sous la barre des 3%. Auquel cas, il faudra voir le prochain Pacte de Stabilité pour le savoir. L'équilibre politique en faveur de l'austérité à tout prix et tout de suite s'affaiblissant considérablement (après le FMI (lien), c'est au tour de l'OCDE (lien) ce mois-ci de faire son mea culpa), ce serait le bienvenu. 







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