lundi 3 mars 2014

Pacte de responsabilité et politique de l'offre

Dans son discours du 14 janvier, François Hollande a dit: 
"Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande."

Cette phrase au pire traduit une forte méconnaissance des mécanismes économiques de la part de notre Président, au mieux joue sur l'ambiguïté entre ce que le public et ce que les économistes appellent l'offre. 

Pour un économiste, le Pacte de Responsabilité n'est pas une politique de l'offre. Si les baisses de cotisations ne sont pas entièrement financées par une baisse de la dépense publique ou une augmentation d'impôt, c'est même une politique de la demande. Et c'est pourquoi il peut fonctionner. 

Pour comprendre pourquoi, il faut préciser dans quel cadre on travaille quand on parle de politique de l'offre et de politique de la demande. 

Un bon cadre pour commencer est celui du modèle OA-DA, pour Offre Agrégée - Demande Agrégée. Ce modèle permet de déterminer la production ou le revenu (Y), le taux d'intérêt (r) et le niveau des prix (P) à partir d'équations de comportement. Ces équations de comportement sont les suivantes : 
=> la demande d'investissement est une fonction décroissante du taux d'intérêt
=> la consommation représente une part fixe du revenu après impôts des ménages
=> la demande de monnaie augmente avec la production multipliée par les prix et baisse avec le taux d'intérêt. 


Cette dernière équation traduit le fait que la monnaie est utilisée comme moyen d'échange et comme moyen de stocker de la richesse. La demande de monnaie augmente donc lorsque les transactions sont plus nombreuses (production) et plus importantes (motif transactionnel), mais diminue lorsque le taux d'intérêt augmente, auquel cas il devient plus intéressant de détenir des actifs rapportant r que de la monnaie rapportant 0 (motif spéculatif).

=> la production est égale à l'emploi. Pas de gains de productivité, et pas de capital, qui jouent surtout sur l'évolution de long terme de la production, moins sur ses fluctuations de court et moyen terme.
=> le salaire est le résultat de la négociation entre employeur et employé, il est proportionnel à l'anticipation des prix (lorsqu'on anticipe une augmentation des prix, on négocie une augmentation du salaire) et décroît avec le chômage, car plus le chômage est élevé, plus il représente un risque pour le salarié qui est donc prêt à accepter un salaire plus faible. 

Ces hypothèses sont bien entendu contestables mais elles fournissent un excellent point de départ à l'analyse. Des trois premières équations (investissement, consommation, et monnaie) on déduit les courbes IS-LM qui nous donnent deux relations différentes entre la production et le taux d'intérêt. Dans le cas de la courbe IS, le taux d'intérêt décroît avec la production. Cela traduit le fait que lorsque le revenu Y augmente, l'épargne augmente, et le taux d'intérêt doit diminuer pour permettre d'égaliser la demande d'investissement à l'épargne. Dans le cas de la courbe LM, le taux d'intérêt croît avec la production. Cela traduit le fait que si la production augmente, la demande de monnaie pour motif transactionnel augmente, et donc à offre de monnaie fixée (par la banque centrale) la demande de monnaie pour motif spéculatif doit baisser, donc le taux d'intérêt doit augmenter. 

On aboutit au modèle IS-LM qui nous donne une unique combinaison possible de Y et r respectant les deux relations. 




On peut s'arrêter à cette étape en supposant que les prix sont fixes à très court terme et regarder l'effet d'une relance budgétaire ou d'une relance monétaire. Nos équations nous disent que si le déficit public augmente, la courbe IS se déplace vers la droite. Le nouvel équilibre détermine une production et un taux d'intérêt tous deux plus élevés qu'initialement. Une partie de l'augmentation de la dépense publique a été évincée par une baisse de l'investissement liée à l'augmentation du taux.  




A l'inverse, si la banque centrale décide d'augmenter la masse monétaire en circulation, la courbe LM se déplace vers le bas. Le nouvel équilibre détermine une production plus élevée et un taux d'intérêt plus bas. Cette fois-ci, l'augmentation de la production provient entièrement de la baisse du taux d'intérêt, qui favorise l'investissement. 

En revanche si l'on considère que les prix ne sont pas fixes, en fusionnant les équations des courbes IS-LM on trouve une relation décroissante entre le prix et la production. C'est la relation de demande agrégée, DA. Pour pouvoir déterminer le niveau des prix et de la production, il nous faut une troisième équation (trois inconnues Y, r, P=> trois équations). Ce sont les deux dernières équations de comportement qui vont nous la fournir. Les entreprises maximisent leur profit ce qui nous donne une première relation entre le salaire réel (salaire divisé par les prix). La deuxième provient de la négociation. On peut éliminer le salaire de l'équation en les rassemblant, ce qui nous donne une relation croissante entre le prix et la production : 
P = Pe x F(Y) x (1 + mu) où Pe est le prix anticipé par les salariés quand ils négocient leur salaire, F(.) est une fonction croissante de l'emploi et donc de la production, traduisant le fait que les salariés ont un pouvoir de négociation plus élevé quand le chômage est faible, et mu est le taux de marge des entreprises. Cette équation donne la courbe OA. On obtient donc, dans le plan (Y,P), l'intersection des courbes OA et DA déterminant le prix et la production d'équilibre. 



Comme avec le modèle IS-LM, on peut regarder ce qu'il se passe lorsqu'on fait bouger OA et DA. Dans ce cadre, essayer d'augmenter la production en déplaçant la courbe Offre Agrégée vers la droite est la définition d'une politique de l'offre. Cela passe par exemple par une libéralisation des marchés, via une ouverture à la concurrence, qui permet au consommateur d'être plus exigeant sur le prix  et donc réduit le taux de marge des entreprises. Donc une politique de l'offre en général réduit le taux de marge, soit exactement le contraire du but affiché du Pacte de Responsabilité. Les politiques de l'offre, c'est ce que la Commission Européenne ou l'OCDE appellent aujourd'hui des "politiques structurelles". C'est libéraliser le marché de l'énergie, ouvrir les télécoms à la concurrence, permettre aux entrants de devenir taxi facilement... Ca réduit les marges d'EDF, d'Orange, des taxis... C'est en général quelque chose auquel les entreprises sont fortement opposées, et elles protestent au nom de la "protection de l'emploi", ce qui veut dire "protection de l'emploi existant au détriment de l'emploi". Bien entendu, la réalité est un peu plus compliquée car il y a du capital, et il faut que les entreprises ayant de forts besoins en capital productif puissent dégager des marges suffisantes pour investir. 




A l'inverse, une politique de la demande, c'est tout le reste : réduction des impôts, augmentation de la dépense publique, augmentation de la masse monétaire (ou baisse de la cible de taux d'intérêt, ce qui revient au même)... Les politiques de l'offre font baisser les prix tandis que les politiques de la demande les font augmenter.


D'ailleurs, comme les prix augmentent quand on relance la demande, les travailleurs essaient de demander un salaire plus élevés pour compenser. Si les salaires ne sont pas trop rigides, la courbe OA remonte, ce qui peut évincer (via l'inflation) tout ou partie de la hausse initiale de la production. En général ces choses se passent en deux temps, c'est pourquoi le modèle a deux périodes : d'abord DA se déplace, et plus tard OA se déplace. 


Finalement, le Pacte de Responsabilité, qu'est-ce-que c'est? Hé bien ça ne touche pas à la courbe pas à la courbe d'offre, puisque ça ne libéralise rien du tout. En revanche, si ce n'est pas complètement financé, c'est une augmentation du déficit et donc une bonne vieille relance budgétaire. Si c'est complètement financé par une baisse de dépenses publiques, ça peut avoir un impact négatif sur la demande agrégée car les baisses d'impôts ont un multiplicateur plus faible que les hausses de dépense. 

Et c'est heureux que ce ne soit pas une politique de l'offre, parce que le monde dans lequel nous vivons est un monde avec des taux d'intérêts très faibles, proches de zéro. C'est le monde de la trappe à liquidité : les taux ne peuvent pas être négatifs, même si on le souhaitait, car sinon les agents auraient une demande quasi infinie de monnaie (qui a un taux d'intérêt nul) => nous placerions tout en billets de banque sous notre matelas. Dans ce monde, le diagramme IS-LM ressemble plutôt à ça : 

La courbe LM devient horizontale quand elle tape le plancher r=0, et si un choc négatif de demande suffisamment important survient, la courbe IS peut croiser la courbe LM à l'endroit où elle est horizontale. A ce moment - là, la politique monétaire est inefficace et il n'y aucun effet d'éviction sur l'investissement quand le gouvernement fait une relance budgétaire : le multiplicateur keynésien est maximum. En trappe à liquidité, la demande agrégée devient insensible au prix. 



Et les politiques de l'offre sont parfaitement inefficaces. Voire même, si on raffine un peu le modèle en faisant la distinction entre taux nominal et taux réel, les politiques de l'offre, en réduisant les prix, vont augmenter le taux réel ( = taux nominal nul - inflation) et la demande agrégée va diminuer. On peut le voir en mettant les prix dans l'équation d'investissement, et la demande agrégée devient croissante. Encore pire, si le choc initial de demande est dû à un endettement des ménages devenu trop important (au hasard), en baissant les prix, les politiques de l'offre renforcent le problème de la dette qui s'érode en terme réel d'autant moins vite que les prix baissent. 



Donc non, l'offre ne crée pas la demande, mais ce n'est pas grave, parce que ce n'est pas ce que le gouvernement fait de tout manière. 

NB1 : ici, on a une économie fermée. En vérité, le pacte de responsabilité, même (et surtout) financé à 100% par une baisse de la dépense ou une hausse de la TVA (TVA sociale de Sarkozy) est une forme de dévaluation fiscale, en l'absence de dévaluation monétaire possible. Le but est de réduire les prix à l'exportation (sensibles au coût du travail), et donc de relancer la demande extérieure. C'est un jeu à somme nulle dans la zone euro, puisque le taux de change de l'euro est déterminé par la balance courante de la zone euro, qui est légèrement positive. Si les pays de la zone euro ayant des balances négatives font de la dévaluation fiscale, tandis que les pays de la zone euro ayant des balances positives font l'inverse, il est possible d'équilibrer autour de zéro les balances courantes de tout le monde. En revanche, si on le fait tous, on n'améliore pas notre compétitivité-coût vis-à-vis du reste du monde car à taux de change flottant, l'euro s'appréciera pour compenser. Les allemands l'ont fait au début des années 2000, et maintenant on est obligé de le faire aussi, c'est une course sans fin qui n'améliore en rien la situation globale de la zone euro, surtout si c'est financé par des baisses de dépenses qui pèsent très négativement sur la demande intérieure. En tout cas, la dévaluation fiscale est une idée originale, qui si elle est bien utilisée, peut permettre de stabiliser des économies partageant une monnaie commune mais pas de budget commun. C'est le fruit des travaux les plus récents de Gita Gopinath (lien), qui repart d'une idée très peu étudiée de Keynes (lien) qui proposait en 1931 une alternative à la fin de l'étalon-or, à laquelle tout le monde semblait opposé : augmenter les tarifs douaniers à l'importation et subventionner les exportations pour les pays en fort déficit commercial. En ce sens, cela peut aider à rétablir l'emploi dans les secteurs exportateurs où la compétitivité-coût est importante. 

NB2 : en régime permanent, avec une inflation positive, il paraît étranger de parler de baisse de prix en cas de politique de l'offre. On peut remplacer baisse de prix par ralentissement de l'inflation, et les modèles arrivent aux mêmes conclusions. 





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