jeudi 20 mars 2014

Pourquoi y-a-t-il de l'inflation?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord expliquer ce qu'est la monnaie. Traditionnellement, on dit que la monnaie a trois fonctions : moyen d'échange, unité de compte  et stockage de valeur. 



Aspect moyen d'échange : 

Supposez une économie à n biens distincts, dont chacun dispose soit en trop grande quantité soit en trop faible quantité pour être heureux (par exemple, vous avez quatre steaks mais pas une patate pour vous faire un burger frite, alors que vous seriez plus heureux avec deux steaks et deux patates). Chacun va donc sur la place du marché, et cherche quelqu'un avec qui il existe une "double coïncidence des besoins", c'est-à-dire quelqu'un qui a ce qu'on veut et dont on a ce qu'il veut. 


En supposant que la probabilité pi qu'on ait ce qu'il veut (le bien i) est indépendante de la probabilité pj qu'il ait ce qu'on veut (le bien j) - une bonne approximation quand il y a beaucoup de gens - la probabilité qu'un échange se fasse avec une personne prise au hasard sur la place du marché est de pi x pj. Si ça prend une minute de discuter avec chacun, on met en moyenne 1 / (pi x pj) minutes pour trouver la bonne personne (loi exponentielle de probabilité alpha a pour espérance 1/alpha). 



Du coup on met au point une stratégie pour passer le moins de temps possible sur la place du marché. Donc on cherche à minimiser T1 = 1/(pi x pj). S'il y a un troisième bien k, vous pouvez très bien échanger d'abord i contre k, puis k contre j, auquel cas on minimise 

T2 = 1/(pi x pk) + 1/(pj x pk), et ainsi de suite. 


Selon les rapports entre les probabilités pi, pj et pk, il peut être toujours intéressant de favoriser un échange en deux coups passant par k qu'un échange direct. Par exemple, si pk > pi + pj, alors T1 est toujours supérieur à T2. S'il existe un bien dont la probabilité que chacun le veuille est plus élevé que tous les autres, alors il est optimal pour tout le monde de passer par ce bien pour échanger. Ce bien deviendra donc la monnaie d'échange. Quiconque ayant déjà joué aux Colons de Catane connaît ce phénomène. 



Dans les premières sociétés, le sucre ou le sel jouaient ce rôle, en prison c'est la cigarette. Notez bien que puisque chacun s'en sert uniquement pour obtenir quelque chose d'autre, il est tout à fait possible que ce bien ne serve à rien en soi, comme l'or. Tout ce qui compte, c'est que chacun pense que ce bien a une probabilité plus élevée que tous les autres d'être accepté comme monnaie d'échange. C'est bien sûr auto-réalisateur, si plus de gens pensent que ce bien a une forte probabilité d'être accepté, plus de gens l'utiliseront, et plus ce bien aura une probabilité forte d'être accepté. Il faut également que ce bien soit assez abondant pour que chacun en possède une quantité suffisante pour ses échanges courants (besoin de liquidité). 




Aspect unité de compte : 

Une fois qu'une monnaie a émergé, par un processus complètement décentralisé, il s'agit ensuite de définir un système de prix, qui sera déterminé par les préférences de chacun. Les biens très désirés auront un prix plus élevé. En l'absence de monnaie, chaque échange doit se fait sur la base d'un prix relatif entre chaque bien. Par exemple, il faut définir pour les deux échangeurs combien de peaux valent une stère de bois, combien de pierres taillées valent une peau et combien de stères de bois valent une pierre taillée, soit 3 prix relatifs. Si la monnaie est la pierre taillée, comme à Yap, il suffit d'exprimer tout en nombre de pierres, et il n'y a plus que 2 prix : le prix de la stère et le prix de la peau. Si vous avez 500 biens, il vous faut donc avoir en tête 499 prix, contre 124 750 s'il n'y a pas de monnaie. On voit assez vite l'intérêt. Si les préférences des gens sont similaires, les prix seront assez peu différents d'une personne à une autre pour qu'il soit possible d'évaluer la "valeur" de chaque bien, exprimée en monnaie, à partir d'un intervalle assez resserré. On peut par exemple dire que la valeur d'un demi de Grimbergen à Paris est compris entre 2 et 4 tickets de métro en 2014, les préférences relatives des parisiens étant assez proches. 

Prenons donc notre société primitive dans laquelle le sucre a émergé comme monnaie. Les locaux maîtrisent assez bien la production de sucre, le sucre est assez répandu et les biens se paient en sucre. Supposons qu'une sécheresse provoque une chute de la production de sucre, assez importante pour que la consommation de sucre conduise la quantité de sucre disponible à diminuer. Le sucre devient plus rare, et les gens préfèrent réfléchir à deux fois avant de dépenser leurs maigres économies de sucre. Cela conduit donc le prix de tous les autres biens, exprimé en sucre, à diminuer, ce qui est équivalent à la valeur du sucre augmente. C'est la déflation. Inversement, si on découvre un tout nouveau champ de cannes à sucre, la quantité de sucre dans l'économie devient très abondante, et sa valeur diminue, donc les prix des biens exprimés en sucre augmentent, c'est l'inflation. 

Supposez également que la population de notre société primitive augmente de 5% par an. Si chacun produit autant de pierres taillées, de peaux et de stères de bois qu'auparavant, il y aura 5% d'échanges en plus tous les ans, et donc à masse de sucre inchangée, le sucre devient relativement plus rare que les autres biens, et sa valeur augmente: déflation. 

En somme, la valeur V de la monnaie, égale à l'inverse du niveau des prix P, est croissante en la quantité d'échanges (Y) et décroissante en la masse monétaire en circulation (M): V = 1/P = Y/M, ce qui peut également s'écrire 
M = PY. 

NB : Y est aussi le PIB réel de l'économie.

Aspect stockage de valeur : 
Bien entendu, il peut s'écouler du temps entre deux échanges, et on peut souhaiter garder un peu de monnaie de côté pour financer ses achats ultérieurs. Il est donc important que la valeur de la monnaie ne fluctue pas trop. Dans une société où M et Y sont stables, P est stable, donc il n'y ni inflation ni déflation. Un stock de monnaie ne se déprécie donc pas, et ne s'apprécie pas non plus, il permettra toujours d'acheter la même quantité de biens. Si la quantité de monnaie augmente mais que Y est stable (Y suit l'innovation technologique et la croissance de la population), alors P augmente, et l'attrait de la monnaie comme stockage de valeur diminue. 

Jusqu'au XIXème siècle, dans le monde occidental, c'est peu ou prou ce qu'il se passait. Y augmentait très faiblement (de l'ordre de 0.5% de croissance par an), la monnaie était l'or et le stock d'or croissait à la vitesse à laquelle on le déterrait, soit probablement un peu moins que 0.5%. Les meilleures données à notre disposition nous mènent à estimer ce taux à 0.2% par an environ, soit ce qu'il est nécessaire pour atteindre 10 000 tonnes d'or en 1850, après 4000  ans d'histoire d'extraction de l'or. Le monde était donc en perpétuelle très légère déflation jusqu'en 1850, la valeur de l'or ne cessait de croître, ce qui a justifié que les capitalistes européens investissent dans les caravelles de Christophe Colomb, ou que des générations de chercheur d'or aient creusé le sous-sol de la Californie ou du Klondike, le retour sur investissement étant d'autant plus élevé que la valeur de l'or croissait. Au niveau individuel, c'était évidemment rationnel de chercher de l'or, mais découvrir de l'or sans changer la productivité ou la population, donc sans changer Y, conduisait à augmenter M, donc P, donc à réduire la valeur de chaque gramme d'or. C'est pourquoi ce ne sont pas les chercheurs d'or qui se sont enrichis pendant la ruée vers l'or, mais les marchands ayant mis en place les nouvelles routes de commerce. 

Après 1850, coïncidence je ne sais pas, mais M et Y ont tout deux commencé à augmenter à un rythme nettement plus élevé qu'auparavant. Y parce que la révolution industrielle a fortement augmenté la productivité, et parce que l'amélioration des conditions de santé à conduit les pays vers la transition démographique, et que les populations ont également fortement augmenté. M parce qu'on a découvert la Californie, puis le Klondike. In fine, M augmente d'à peu près 1.7% par an à partir de 1850 (donc 93% de la quantité d'or en circulation aujourd'hui a été extraite depuis moins de 150 ans) quand Y d'environ 1.8% par an, soit une inflation légèrement positive. 

Monnaie papier, monnaie fiduciaire
Transporter toute sa richesse en or pouvant être compliqué, on a aussi développé le principe de la monnaie papier. Par exemple, sur l'île de Yap, la monnaie étant de grosses roues en pierre pesant plusieurs tonnes, il est plus facile de se souvenir à qui appartient chaque grosse pierre qu'on voit un peu partout. Dans le monde occidental, on se contentait de donner tout notre or à une banque qui nous écrivait sur un bout de papier ce qu'elle nous devait. On pouvait donc voyager avec ce bout de papier, le présenter à d'autres banques, qui si elles connaissaient notre banque, pouvait échanger ce bout de papier avec de l'or qu'elles avaient dans leurs caisses. La monnaie papier n'est donc qu'une reconnaissance de dette de la banque à qui vous avez donné votre or, cela ne change aux mécanismes monétaires, et en particulier au fait que PY égale M la quantité d'or. 

Très vite, la plupart des sociétés centralisées ont organisé la monnaie. Au début, le seigneur ou le roi frappait les pièces d'or à son effigie avant de les mettre en circulation, ce qui permettait de définir une unité de compte, puisque chaque pièce frappée avait un poids en or bien défini. Les différentes monnaies n'en étaient en fait qu'une, l'or, et les taux de change étaient fixes, à savoir par exemple le rapport des poids en or de la livre sur le louis. 

On est assez rapidement passé aux monnaies fiduciaires, c'est-à-dire que l'Etat émet une certaine quantité de pièces métalliques ou de billets de banque, correspondant aux réserves d'or qu'il détient. Dès lors, tout l'or d'un pays peut être stocké à un unique endroit, la banque centrale, et les pièces en argent, cuivre, zinc ou les billets de banque, sont des reconnaissance de dette de la banque centrale. En théorie, il était donc possible d'aller à la Banque de France et de demander à échanger un billet de 100 francs pour l'équivalent en or. 


Qu'est-ce-qu'une crise de liquidité?
C'est une récession purement monétaire, qui se produit si P ne peut pas varier rapidement. Cette rigidité provient de facteurs psychologiques (vous avez toujours vendu une peau 12 pièces d'or, pourquoi ça changerait?) ou de contraintes techniques (il faut changer toutes les petites affichettes avec les prix sur la devanture de votre magasin). En particulier, si les prix relatifs des biens par rapport à la monnaie ne s'adaptent pas à une forte augmentation du potentiel de Y (baby-boom, innovation technologique doublant la vitesse de production des peaux de bête), et que M est maintenu constant (donc dans l'équation M = PY, M et P sont fixes) alors Y ne peut pas augmenter : les capacités de production dépassent la quantité d'échanges effectifs. Les nouveaux arrivants sur le marché du travail (cas du baby-boom) ou bien la moitié des producteurs de peaux de bête (cas de l'innovation technologique) se retrouvent ainsi au chômage. 

Une allégorie utile pour comprendre ce phénomène est celui de la co-op de baby-sitting (lien). Plusieurs couples s'associent au sein d'une co-op pour garder les enfants des autres quand ces derniers souhaitent sortir et pas eux. Pour éviter que certains profitent du système, la co-op émet des coupons valant 1h de baby-sitting : quand vous prenez les enfants des autres, ils vous donnent des coupons, que vous dépensez quand vous sortez. Dans l'exemple étudié, pour une raison compliquée le nombre de coupons en circulation diminue (certains se perdent, peu importe). Chacun ayant envie d'avoir un petit stock de coupons chez soi pour pouvoir sortir si l'envie leur en prend, le fait que les coupons deviennent plus rares poussent les couples à essayer de ne pas trop les dépenser, mais sautent sur la moindre occasion de baby-sitting. Comme tout le monde a le même raisonnement, cela ne fonctionne pas car pour que quelqu'un gagne un coupon, quelqu'un d'autre doit le dépenser. Notre co-op expérimente donc le chômage, soit des couples qui sont prêts à travailler (ie baby-sitter) mais ne trouve pas d'employeur (ie de couple voulant sortir). Formellement, M diminue, P est fixé à une heure de baby-sitting par coupon, donc Y diminue. La solution est d'augmenter M ou de diminuer P. 

Pour éviter cela, il faut donc un mécanisme permettant à M d'augmenter ou à P de diminuer. Dans le cas de notre co-op on peut émettre plus de coupons, ou bien diminuer la valeur d'un coupon arbitrairement, mais dans le cas d'une économie plus complexe, à n biens, P étant déterminé par l'équilibre sur n marchés de l'offre et de la demande, c'est plus difficile. 

Dans le cas d'une économie dont la monnaie est l'or, si la population ou la productivité augmente, voilà le mécanisme : 

1)  La demande d'or devient plus forte, mais les prix restent rigides. 
2) Tant que les prix ne baissent pas, Y est contraint par M et P, donc reste inférieur à son potentiel, donc le chômage augmebnte
3) Les prix finissent par baisser et la valeur de l'or augmente, ce qui incite plus de gens (ceux qui sont au chômage par exemple) à prendre une pelle et aller creuser des trous, donc la quantité d'or finit par augmenter. 
3) En parallèle, les prix ayant baissé, Y peut à nouveau augmenter. Cela traduit l'activité des chercheurs d'or. 
4) Comme M augmente, PY remonte. Comme Y peut librement augmenter, étant inférieur à son potentiel, une bonne partie de l'augmentation de PY se traduit par une augmentation de Y. 
5) Lorsque Y atteint son potentiel (il n'y a plus de chômage), M continuant à augmenter car les chercheurs d'or sont toujours là, Y étant contraint, ce coup-ci P augmente. 
6) Comme P augmente, la valeur de l'or diminue, jusqu'à atteindre sa valeur initiale, et c'est à nouveau peu intéressant de chercher de l'or. 

Le problème de ce mécanisme est qu'il est affreusement lent, que le chômage a de forte chance de détruire des compétences s'il dure trop, que la chute de la production mène à des famines, voire des guerres. Et puis surtout, les ressources humaines utilisées pour chercher de l'or sont colossales (300 000 aventuriers sont partis chercher de l'or en Californie en 1848, soit 1.5% de la population américaine et 85% de la population Californienne de l'époque), et même si cela réduisait le chômage, elles auraient été bien mieux employées si elles avaient été investies dans la construction de routes, d'écoles, d'hôpitaux, tout autant d'investissement qui augmente le potentiel de croissance. Une citation de Keynes est connue pour moquer ironiquement l'attachement à l'or d'une partie de l'élite de l'époque : 

"If the Treasury were to fill old bottles with bank-notes, bury them at suitable depths in disused coal-mines which are then filled up to the surface with town rubbish, and leave it to private enterprise on well-tried principles of laissez-faire to dig the notes up again (the right to do so being obtained, of course, by tendering for leases of the note-bearing territory), there need be no more unemployment and, with the help of repercussions, the real income of the community, and its capital wealth, would probably become a good deal greater than it actually is."
Keynes ne souhaitait pas qu'on applique à la lettre cette recommandation, il soulignait simplement le mécanisme par lequel la recherche d'or pouvait être stabilisatrice : augmentation de la masse monétaire, augmentation de la dépense totale (via les salaires des mineurs), des mécanismes purement Keynésiens. Ceci étant, il vaut mieux augmenter la masse monétaire sans l'enterrer, et employer les chômeurs à construire des choses utiles.  

Les autorités monétaires (Roi, seigneur, banque centrale...) ont donc cherché à faire varier la masse monétaire pour permettre de gérer les fluctuations de l'économie. Cependant la quantité de monnaie en circulation devait être égale à la quantité d'or dans les caisses de la banque centrale, ou bien il fallait carrément fabriquer les pièces à partir de l'or et on mesurait la valeur monétaire d'une pièce à son poids en or. Les autorités monétaires ont donc progressivement commencé à "débaser" leur monnaie, c'est-à-dire a réduire (ou augmenter, mais c'était plus souvent réduire) selon les besoins le ratio or/monnaie en circulation. Sous l'Empire Romain, cela consistait à frapper des pièces de même valeur faciale avec 3.8g d'or au lieu de 4g. Plus récemment, cela consistait à imprimer plus de billets pour la même quantité d'or en réserve (faire marcher "la planche à billet").

En général, les Etats le faisaient très mal, n'avaient aucun moyen sérieux d'estimer les besoins en masse monétaire de leur économie, et donc leur cible de masse monétaire était bien souvent soit trop haute, soit trop basse, ce qui réduisait à peine les fluctuations, voire pouvait les empirer. D'autant que bien souvent, la banque centrale dépendant du pouvoir politique, il était très tentant de financer les dépenses publiques (guerres, corruption...) par un débasage. Ainsi, M augmentait sans que ce soit justifié par une augmentation de Y, donc augmentait assez fortement l'inflation. Ce n'est pas toujours mauvais, cela pouvait même se justifier parfois. Par exemple, la France a connu une plus forte période d'inflation après la première guerre mondiale que le Royaume-Uni. Cela s'est traduit par une dette publique bien plus importante au Royaume Uni, et des rentes privées qui se sont maintenues. L'inflation a eu en revanche un fort pouvoir redistributif en France, puisqu'elle a rogné la valeur des capitaux détenus. 

La fin de l'étalon-or et les fluctuations économiques
A fort de débaser ou de rebaser pour gérer les fluctuations de l'économie, on s'est bien rendu compte du côté artificiel d’asseoir la quantité de monnaie sur les réserves d'or. Il a fallu à peu près 40 ans entre les écrits de Keynes poussant à quitter l'étalon-or pendant la Grande Dépression et les accords de 1973 qui ont mis fin à la convertibilité du dollar en or. Entre temps, un pseudo-régime d'étalon-or était en place puisque le dollar était équivalent à l'or détenu par la Federal Reserve (banque centrale américaine), et que toutes les monnaies s'étaient arrimées au dollar, donc à l'or (taux de change fixe). A partir de 1973, la plupart des pays sont passés à un système de taux de change flexibles, et chaque banque centrale s'est mis à gérer la croissance de sa masse monétaire de manière à stabiliser sa propre économie, sans tenir compte de l'or ou du dollar. Parallèlement, les modèles macroéconomiques se sont considérablement développés et ont permis de mieux anticiper la variation de la quantité de monnaie nécessaire pour maintenir P constant dans l'équation M = PY. Depuis 30 ans, l'inflation est considérablement plus stable que jamais auparavant. L'épisode des chocs pétroliers est un épisode important dans la macroéconomie moderne. Dans l'équation M = PY, on oublie vite qu'une augmentation de M peut conduire à une augmentation de P, et pas de Y. En cas de crise, il est donc important de savoir si Y chute car le potentiel de production de l'économie chute (choc d'offre : usines détruites, forte émigration, diminution de l'énergie à disposition) auquel cas il est illusoire de le remonter monétairement, une augmentation de M conduira à de l'inflation. A l'inverse, si Y chute pour des raisons de demande uniquement (par exemple, dans notre co-op, tout le monde cherche à réduire ses sorties en même temps), à ce moment là une augmentation de M rétablira Y à son potentiel. 






Pourquoi une cible d'inflation à 2%, et pas 0%? et pas 4%
Il y a plusieurs façon de le justifier. La première est de supposer qu'il existe une asymétrie entre la rigidité des prix à la baisse et à la hausse. Par exemple, les salaires (qui sont le prix du travail) baissent très difficilement. Donc si la banque centrale vise une augmentation de M exactement proportionnelle à Y, soit P stable et donc une inflation nulle, le moindre choc de demande sur Y exercera une pression déflationniste sur P (si la demande baisse, le prix baisse). Celui-ci ne pouvant pas baisser, le choc de demande ne peut être amorti. Il est donc préférable d'avoir une inflation légèrement positive, qui peut simplement ralentir en cas de choc de demande. Dans ce cas, en cas de choc de demande sur Y, M/P augmente plus vite que Y, donc il y a un effet dit "d'encaisses réelles", la valeur de votre stock de monnaie augmente, vous vous sentez plus riches et donc dépensez plus, ce qui rétablit la demande. 

Une autre façon de voir les choses est de considérer que notre économie est aussi une économie capitalisée, dans laquelle l'épargne est stockée majoritairement sous la forme d'actifs (immobilier, financier...) rapportant un taux d'intérêt. On souhaite toujours détenir de la monnaie pour les échanges, mais si le taux d'intérêt est élevé, on est incité à ne pas trop laisser son argent dormir sur un compte non rémunéré ou sous forme de billets de banque. Dans ce cas, la demande de monnaie diminue avec le taux d'intérêt nominal, et on a 

M = alpha x PY - beta x i

De l'autre côté, le taux d'intérêt étant le prix que les débiteurs paient à leur créanciers, il dépend du rapport entre l'offre d'épargne (ce que les gens ont envie d'épargner) et la demande d'investissement (le nombre de projet pour lesquels cette épargne sera utilisée). On est typiquement dans le cadre du modèle Offre Agrégée - Demande Agrégée décrite dans ce post précédent

Dans ce cadre, les variations de masse monétaire jouent directement sur le taux nominal i, c'est pourquoi on parle souvent de "taux directeur", qui permet à la banque centrale de mieux traduire en terme de taux l'impact de ses décisions de politique monétaire. Elle choisit le taux d'intérêt nominal i qui permet d'égaliser taux réel r (soit le taux nominal moins l'inflation) et taux "naturel" de l'économie, à savoir le prix de l'épargne sur le marché des capitaux. Lorsqu'un choc de demande se présente, la volonté d'épargner dépasse la volonté d'investir et le taux d'intérêt naturel de l'économie diminue. La banque centrale diminue i de façon à ce que l'équation : 

réel (= nominal - inflation) = naturel

soit toujours vraie. Cependant, si le choc de demande est assez important pour faire tomber le taux d'intérêt naturel en dessous de 0, cela signifie qu'il faut un taux réel négatif. En l'absence d'inflation, il faut donc un taux nominal négatif. Or on voit bien que si le taux nominal devient négatif (vous perdez 2% de votre épargne tous les ans), l'existence de la monnaie papier incite à stocker toute son épargne sous forme de billets de banque. La banque centrale est donc coincé à i = 0, et le taux d'intérêt réel est supérieur au taux naturel, l'économie est en dessous de son potentiel de manière permanente. En outre, comme les agents de l'économie sont parfaitement indifférents entre détenir de la monnaie et des actifs (tous rémunérés à 0%), la vitesse de circulation de la monnaie diminue fortement, car il est préférable de détenir beaucoup de monnaie, qui au contraire des actifs est disponible tout de suite. La quantité de monnaie en circulation étant égale à la quantité de monnaie multipliée par la vitesse, la banque centrale doit considérablement augmenter la base monétaire pour maintenir la quantité de monnaie en circulation. C'est la trappe à liquidité, et c'est ce qu'il se passe depuis 5 ans, et ce qu'il s'est passé dans les années 30 : dans le graphique, la base monétaire est la monnaie émise par la banque centrale, et M2 est cette base multipliée par la vitesse de circulation de la monnaie. Ici, M2 est l'agrégat M de toutes les équations ci-dessus. 



Au final, pour éviter d'être contraint par la limite à 0%, il est intéressant d'avoir un taux nominal moyen suffisamment élevé, permettant à la banque centrale de le diminuer d'autant plus que le choc est grand. Ainsi, pour un taux naturel d'environ 2%, la banque centrale peut choisir un taux nominal de 4% et une inflation de 2% , ou bien un taux nominal de 6% et une inflation de 4%, etc, tous ces choix étant équivalents puisqu'ils permettent de maintenir réel = naturel = 2%. Néanmoins, plus la cible d'inflation est élevée, plus la marge de manœuvre est élevée. Si l'on a choisi une inflation de 2%, c'est parce qu'à l'époque on considérait que 4% de taux nominal était suffisamment élevé pour nous permettre d'amortir n'importe quel choc de demande. La perspective de tomber à 0% paraissait très improbable. En outre, on constate également que la variabilité de l'inflation est plus élevée à des niveaux élevés, donc il est plus difficile d'atteindre sa cible si elle est élevée. 2% semblait donc un excellent compromis. On a vu cependant (voir post précédent) que le taux d'intérêt naturel pouvait diminuer de manière permanente, auquel cas avec 2% d'inflation, et 1% ou 0.5% de taux naturel, la cible de taux nominal baisse d'autant (3% ou 2.5%), ce qui réduit d'autant la marge de manœuvre en cas de choc. De plus on a clairement sous-estimé la possibilité d'une crise financière de même ampleur que celle des années 30, qui peut nécessiter une baisse des taux bien supérieur à la marge de manœuvre qu'on s'était laissée. Beaucoup d'économistes plaident aujourd'hui pour une cible d'inflation plus élevée, à 3% ou 4%, non seulement pour prévenir les chocs futurs, mais également parce qu'en l'état actuel des choses, le seul moyen de baisser le taux réel jusqu'au taux naturel est de faire de l'inflation : réel = nominal - inflation = 0 - inflation. Dans notre situation, l'incapacité de la BCE à augmenter l'inflation (elle est tombée à 0.7% dans la zone euro) aggrave l'écart entre taux réel et taux naturel donc prolonge la récession.

Et la monnaie électronique?
L'avantage de la disparition de la monnaie papier est que cela règle le problème de la trappe à liquidité. En effet, en l'absence de possibilité de stocker des billets de banque chez soi, les taux d'intérêts peuvent tomber en territoire négatif : il suffit de rémunérer les comptes courants à des taux négatifs. En outre, cela limite la fraude puisque la monnaie devient beaucoup plus traçable. Avec une monnaie électronique, plus de problème de trappe à liquidité, et la banque centrale retrouve sa capacité de stabilisation sans limite. Dans ce cas, il est possible de fixer une cible d'inflation à n'importe quel niveau, et de cibler des taux d'intérêt nominaux égaux à l'inflation plus le taux d'intérêt naturel. En l'occurrence, la monnaie électronique permettrait en théorie de faire disparaître l'inflation. 

NB : Certains pensent que l'inflation existe pour pousser les gens à consommer. Le raisonnement serait que celle-ci rogne votre épargne, donc vous encourage à consommer. C'est souvent un argument cité par les critiques de la société de consommation. Le problème c'est que c'est faux, dans un monde avec des actifs, l'épargne est majoritairement stockée dans des actifs dont le rendement réel est indépendant, en moyenne, de l'inflation. Même quelqu'un ayant une très faible épargne peut la placer dans un livret rémunéré plus ou moins indexé sur l'inflation. Il est vrai que les taux réels varient avec la conjoncture, la banque centrale répondant toujours avec un temps de latence, ou bien même la banque centrale étant parfois contrainte pour des raisons politiques (par exemple, la cible d'inflation de la BCE est de 2%, ce qui signifie qu'elle ne respecte pas actuellement son mandat, mais est limité dans l'action par certaines contraintes juridiques et politiques). Mais sur longue période, le choix de la cible d'inflation n'a que peu de conséquence sur la consommation. 

NB : Bitcoin fonctionne exactement comme l'or. A l'origine de Bitcoin il y a une croissance définie de la quantité de Bitcoin disponible, qui peut plus ou moins varier selon les ressources informatiques que l'on consacre à l'activité de "minage". Mais la quantité totale de Bitcoin à l'infinie est fixe, et a été déterminée par le créateur de Bitcoin. Tant qu'il est impossible pour la banque centrale de faire fluctuer cette masse monétaire de façon à augmenter ou diminuer les taux d'intérêt, une économie qui se fonderait sur le Bitcoin connaîtra les mêmes fluctuations économiques dévastatrices que celles des économies fondées sur l'or. Or le but même de Bitcoin est justement de décentraliser la politique monétaire. Ces deux objectifs ne sont pas réconciliables à l'heure actuelle. 













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