jeudi 17 avril 2014

Les faux économistes, suite et fin

Suite et fin du bestiaire des économistes médiatiques français. Certains m'ont été suggérés. 

6) Le Very Serious économiste (copyright P.Krugman).

Quand il a découvert l'ordolibéralisme, ce fut une révélation. Il a enfin pu réconcilier son envie de tout contrôler et réguler et ses instincts libéraux datant de la première année d'économie, quand les filles ne voulaient pas lui parler et qu'il était le seul de sa promotion à venir en amphi en costume-cravate. Pour lui, l'Etat a un rôle à jouer, mais uniquement celui d'arbitre d'une concurrence saine entre entreprises bénévolentes. Il a une sainte horreur pour la dépense publique non régalienne, et plaide par exemple pour un système de retraite composé de polices d'assurances privées parmi lesquelles les citoyens sont obligés de choisir et dont les termes ont été rigoureusement définis par l'Etat. On ne sait pas trop pourquoi il s'interdit à ce point de passer par un système public, mais soit. Il adore la décentralisation et le "principe de subsidiarité" au-delà de toute mesure, comme un principe immuable, un prisme au travers duquel il juge toute politique, tel Didier Bourdon et Bernard Campan dans "le Pari" : décentralisation, BIEN, Etat central, PAS BIEN. Il a toujours fait partie intégrante du paysage et s'il est un peu loufoque c'est surtout parce qu'il est incapable d'intégrer que c'est impossible de tout défaire pour tout refaire. On l'écoute expliquer son système idéal, très cohérent, tout disant en aparté que c'est bien beau tout ça mais la France est partie dans une autre direction il y a 70 ans, on va plutôt essayer d'améliorer ce qu'on a. 

Mais récemment, il a commencé à nous énerver. Il cite le modèle allemand toutes les trois lignes dans ses éditoriaux, il veut réduire le SMIC pour relancer les exportations et la compétitivité de la France (l'immense majorité des employés au SMIC est dans les services), il pense que tous les pays européens devraient présenter un surplus commercial de 6% de leur PIB (en exportant vers Mars peut-être), il déteste l'inflation (sans trop savoir pourquoi, je le soupçonne de penser comme certains anciens membres du directoire de la BCE que quand les prix baissent les gens sont riches), et il a une véritable obsession pour la dette publique, dont il regarde les moindres soubresauts depuis 2010. Il adore les réformes structurelles mais est souvent bien incapable de nous dire ce qu'il entend par là. En général, pris en défaut, il cite les taxis. Il adore la réduction des déficits, mais attention, seulement quand cela passe par une réduction des dépenses (ou une hausse de la TVA). 

Il se voit comme centriste et raisonnable, il donne des gages à droite en prônant la baisse du SMIC, il donne des gages à gauche en se prononçant pour une allocation universelle, persuadé que ces deux solutions sont une panacée. Il veut gérer l'Etat en bon père de famille, et se méfie avec raison de la finance. C'est le plus embêtant de tous les faux économistes, car telle une montre cassée ayant raison deux fois par jour, il peut parfois dire des choses sensées et être confondu avec de vrais économistes ayant de vraies raisons de recommander certaines réformes. Il n'est pas très polarisant, mais on ne parle que de ses idées depuis trois ans. 


7) Le keynésien de la dernière heure

Je pensais que cette espèce n'existait pas, mais il se trouve qu'on peut encore en trouver. En général sociologue et ancien militant trotskiste, il s'est fait connaître avant 2008 en écrivant des tas d'articles sur l'Etat social, sur l'importance des systèmes d'assurance publique. Il ne cachait pas ses opinions politiques, et on pouvait le voir sur les plateaux, face au Very Serious économiste, égrainer la liste des services publics qui se dégradent à cause de la logique financière des néolibéraux. Avec la crise, un truc s'est passé. C'est évident que le Very Serious économiste a voulu tailler dans la dépense, ce contre quoi il était rigoureusement opposé. Et il s'est retrouvé à râler aux côtés une autre espèce d'économiste, les vrais, ceux qui trouvent que réduire le déficit en période de crise de la demande n'est pas une bonne idée. Il a découvert qu'un anglais des années 30 avait suggéré que pour lutter contre la Grande Dépression, on pouvait en profiter pour augmenter la dépense publique afin d'arrêter la spirale récessive et faire enfin le New Deal que beaucoup appelaient de leurs voeux. Tout d'un coup, sans avoir jamais lu une page de la Théorie Générale, il se voit comme le nouveau Keynes. 

Le very serious économiste, le grand gourou et l'essayiste décliniste, ignorants qu'ils sont des modèles les plus actuels de la Nouvelle Synthèse, le confondent souvent avec de vrais économistes, comme Gregory Mankiw (ancien conseiller économique de G.W. Bush, ce qui montre qu'on peut très bien être keynésien et de droite), Olivier Blanchard (chef économiste du FMI), Ben Bernanke et Janet Yellen (respectivement ancien et actuelle président(e) de la FED),  et bien d'autres, tous conscients que la réduction des déficits en période de crise est mauvaise. D'ailleurs, tous ont conseillé des plans de relance en 2009 et 2011 aux USA, en partie par une hausse temporaire des dépenses, et en partie par une baisse temporaire d'impôts. Ces mêmes économistes reprochaient à G.W.Bush son irresponsabilité budgétaire à une époque où la relance n'était ni nécessaire, ni efficace. 

Mais voilà, il existe un type qui prône la dépense tout le temps, à tout prix, et rien que la dépense, se fichant de la dette, et persuadé que le multiplicateur keynésien fonctionne même en plein emploi. Il écrit un jour en citant Keynes, et sert depuis d'épouvantail contre le keynésianisme. Cette lecture est d'ailleurs très largement reprise par les médias, qui qualifient tout le temps (même hors crise) une hausse de la dépense de "keynésienne" et une baisse des impôts (même pendant une crise) de "politique de l'offre". Ou une hausse d'impôts de "hausse d'impôts" et une baisse de la dépense de "rigueur", "austérité" ou "réforme structurelle". C'est rageant. 


8) Le jeune blogueur

Il a créé un blog éco il y a trois mois parce qu'il a l'impression que personne ne comprend rien. Depuis, il a 50 abonnés sur Twitter, il écrit des articles beaucoup trop longs et beaucoup trop abscons pour être intéressants, mais il se dit qu'il a une audience et qu'il a une responsabilité vis-à-vis d'elle. Il déteste lire la presse économique mais passe le plus clair de son temps à lire la presse économique, en envoyant rageusement des liens à ses amis et collègues sous-titrés : "t'as vu ce qu'il a encore dit celui-là? Décidément ces journalistes n'y comprennent rien". Il a moins de trente ans, il adore l'économie mais est trop fainéant pour faire une thèse. Il se demande pourquoi il n'y a pas de Financial Times français, et rêve de devenir Martin Wolf. 









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