mardi 8 avril 2014

Un petit point sur l'austérité en Europe

Quelque chose semble mal compris par le public quand des économistes parlent de mettre fin à la politique d'austérité dans la zone euro. Personne ne nie que certains pays ont des situations budgétaires plus contraignantes que d'autres, simplement on ne peut tous réduire nos déficits en même temps sans plonger la zone euro dans la récession. 

Voici un tableau des balances structurelles des pays de la zone euro, en 2009 et en 2013, triés par l'effort budgétaire que les gouvernements ont implémenté. Les trois dernières colonnes donnent la croissance moyenne entre 2008 et 2013, décomposée entre la récession de 2009, et la trajectoire depuis. Il est évident que les pays ayant connu la plus grosse récession en 2009 on le plus gros potentiel de rebond entre 2009 et 2013. 



En 2009, le PIB de la zone euro a chuté de 4.5%. Il a depuis crû au rythme de 0.6% par an, mais n'a pas encore dépassé son niveau d'avant la crise puisque la croissance moyenne depuis la fin 2008 (donc en incluant la récession de 2009) n'est que de -0.4% par an. L'effort structurel moyen dans la zone euro a été de 3 points, soit 0.75 point par an. Si les multiplicateurs budgétaires sont de 1 (estimation basse), cela signifie que la croissance de la zone euro aurait pu être de 1.5% par an en moyenne depuis 2009. Si les multiplicateurs sont plus élevés, cela aurait pu être 2% par an.

A titre de comparaison, j'ai également inclus le Royaume-Uni et les Etats-Unis dans le tableau. Cependant, ces deux pays disposent de leur propre politique monétaire, qui, on l'a vu (lien) a été beaucoup plus accommodante que celle de la BCE. En outre, les Etats-Unis sont une économie relativement fermée (la part des échanges commerciaux dans le PIB est nettement plus faible que pour le UK ou la zone euro), donc ils sont moins affectés par la conjoncture de leurs partenaires commerciaux, et leur population croît beaucoup plus vite, il est logique qu'ils aient une croissance plus importante, même avec 3 points de consolidation budgétaire. 

Au sein de la zone euro, les démographies sont plus proches, et la politique monétaire est la même, ce qui permet de mieux comparer les impacts des consolidations budgétaires sur la croissance, toutes choses égales par ailleurs. 

La France est parmi les pays ayant connu la plus faible récession en 2009 (seuls le Portugal, Chypre, la Belgique et Malte ont connu des récessions plus faibles), donc elle est parmi ceux ayant le plus faible potentiel de rebond ensuite. La France avait en revanche un déficit structurel élevé en 2009, lié à une décennie de laxisme budgétaire (la croissance était là mais le gouvernement de l'époque n'en a pas profité pour réduire le déficit). Elle a depuis fait un effort structurel d'environ 3.2% de PIB, soit légèrement plus que la moyenne des pays de la zone euro. 

Les deux pays Baltes membres de la zone euro ont été les plus affectés par la crise de 2009 (17.7 % pour la Lettonie et -14.1% pour l'Estonie), donc ont connu les rebonds les plus spectaculaires. L'Estonie avait un déficit structurel très faible en 2009 et l'a à peine réduit, elle a connu une croissance moyenne de 4.1% depuis la crise, et 0.2% en incluant la crise. La Lettonie avait un déficit structurel élevé, et l'a réduit de 3.9% de PIB, elle a connu une croissance plus faible que l'Estonie malgré son potentiel de rebond plus élevé. 

L'Allemagne a été fortement touché par la récession en 2009, mais ayant un déficit structurel très faible en 2009 (-0.8% de PIB), elle n'a fait qu'un tiers de l'effort budgétaire moyen de l'eurozone, et a connu une croissance moyenne de 2.1% depuis la crise, soit 0.6% en incluant la crise (contre 1% et 0.2% pour la France). 

La Grèce, l'Espagne et le Portugal sont parmi les pays ayant le plus consolidé leur position budgétaire, partant de très haut. Ils sont aussi parmi ceux ayant le plus souffert depuis 2009. 

Le but de ce post est de montrer que les situations budgétaires des pays membres de la zone euro étaient effectivement très différentes en 2009, mais que la situation globale de la zone euro n'était pas catastrophique. La France, la Grèce, le Portugal, l'Espagne, Chypre et l'Irlande avaient très peu de marges de manoeuvre budgétaire, et il est indéniable que ces pays devaient tôt ou tard réduire leur déficit structurel. Cependant, ce que la théorie économique suggère, c'est qu'à l'échelle de la zone euro, la réduction globale de 3% intervenait au pire moment possible. La situation aurait été tout autre si simultanément à la réduction des déficits en France, Grèce, Portugal, Espagne, Chypre et Irlande les pays ayant des marges de manoeuvre, même limitées, comme l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche et la Belgique avaient légèrement augmenté leur déficit pour soutenir la demande dans la zone euro. 

Par exemple, la forte consolidation budgétaire allemande des années 2000 s'était accompagné d'un boom de leurs exportations, non seulement car les coûts salariaux européens ont augmenté plus rapidement, mais également parce que les principaux partenaires commerciaux de l'Allemagne avaient une demande intérieure soutenue. 

Aujourd'hui, la France demande un report de l'objectif de 3% de déficit en 2015. Le déficit nominal étant de 4.3% de PIB. Pour atteindre cette cible, l'effort supplémentaire nécessaire dépendra de la croissance en 2014 et 2015. Si la zone euro dans son ensemble continue sa trajectoire de consolidation, il y a fort à parier que la croissance en France restera nulle et que l'effort structurel nécessaire sera supérieur à 1 point de PIB, donc 0.5 point par an, donc un maigre ralentissement par rapport à la période 2009-2013. Si les pays en surplus en 2013 soutiennent la demande, cela améliorera la balance commerciale française et donc la croissance et rendra l'objectif de 3% plus facile à atteindre. 

J'espère que l'objet des négociations à Bruxelles est bien celui-là : on maintient la cible des 3% en 2015 à condition que l'Allemagne soutienne la demande. Sinon, on reporte. 




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