mercredi 28 mai 2014

Le contrat social

Un développement de Scott Sumner à la suite de l'article de P.Krugman sur le taux d'emploi des 25-54 ans supérieur en France à celui des US, dont j'ai discuté ici


1) On devrait s'attendre à ce que le niveau de productivité horaire soit plus élevé en France qu'aux US, justement parce que les individus les moins productifs sont à l'écart (choisi ou subi) du marché du travail. Or les productivités horaires observées sont virtuellement égales. Soit les français sont effectivement moins productifs, soit non et les inactifs seraient aussi productifs que les autres s'ils étaient en emploi. Je discute de la première hypothèse dans cet article de février dernier, et je montre qu'en supposant que les inactifs sont aussi productifs que les salariés les moins productifs, il suffit pour l'économie française de se spécialiser dans les mêmes secteurs que l'économie américaine pour que les productivités s'égalisent. Ce qui d'ailleurs mets du plomb dans l'aile à l'économie "à la" Montebourg, pour qui il vaut mieux maintenir l'emploi, même dans des secteurs peu productifs. Il reste que la deuxième hypothèse n'est pas à exclure non plus. Le maintien dans l'emploi de cadres en fin de carrière, que leur employeur aurait aimé garder s'ils n'avaient pas eu la possibilité de partir en retraite peut autant relever la productivité que l'entrée dans l'emploi d'étudiants ou immigrés moins qualifiés peut la baisser. Je n'ai pas connaissance de papier étudiant cette hypothèse... 

Aussi, la question des rigidités sur le marché du travail est complexe, et il y a plusieurs manières de l'aborder.

2) Premièrement, côté offre de travail (un salarié offre son travail à un employeur), tous les pays développés ont mis en place des mesures qui influent sur l'offre de travail et sur le nombre d'heures travaillées (congés payés, âge de départ à la retraite, coût des études supérieures, système de santé...). A l'instauration de chaque mesure, on peut se demander si les bénéfices (qui ne sont pas toujours économiques, car tout n'est pas économique dans ce monde) dépassent les coûts attendus. Par exemple, la cinquième semaine de congés payés peut réduire le nombre d'heures travaillées (coût en terme de revenus pour chaque français), mais peut permettre de réduire le degré moyen de stress. Chacun ayant sa propre analyse coût/bénéfice, car chacun ayant son propre arbitrage travail/loisir, l'Etat doit faire au mieux pour agréger nos préférences. En choisissant une solution médiane commune à tous, il est évident que personne ne sera content, mais cela peut être la solution qui minimise le mécontentement total. Cela peut également être préférable à une situation de laissez-faire, dans laquelle les plus vulnérables peuvent ne pas avoir le même degré de liberté que les plus aisés. Par exemple, je connais un certain nombre de cadres supérieurs qui seraient prêt à passer aux 4/5 ou à avoir une semaine de congés en plus, quitte à perdre un peu de revenus, mais je doute que ce soit le cas de quelqu'un ayant des fin de mois difficiles. Pour cette raison, les 35h ont probablement plus profité aux cadres qu'aux ouvriers, et la possibilité (fortement incitée) de partir à la retraite tôt pour quelqu'un ayant des hauts revenus est à la fois un coût en terme de PIB et en terme de finances publiques (lien). Au final, en comparant deux pays, mieux vaut garder en tête que chaque pays a ses propres choix sociaux, mais que les politiques mises en place ne sont pas toujours celles permettant de mieux satisfaire ce choix. C'est une des raisons d'être de la profession d'économiste d'aider le politique à remplir le contrat social. Ce dernier peut évoluer d'ailleurs, comme par exemple aux Etats-Unis, où une majorité d'américains soutiennent désormais un système de santé obligatoire et abordable pour tous, une mesure qui a tendance à réduire l'offre de travail en limitant le phénomène de 'job lock' (ne pas quitter son emploi même si on le souhaite par peur de perdre sa couverture santé). 

3) Côté demande de travail (=offre d'emploi par les employeurs), il s'agit aussi de peser les bénéfices et les coûts attendus. Et là, je suis plutôt d'accord avec Scott Sumner, il y a de gros progrès à faire en France. Un salaire minimum élevé peut avoir un impact plus mitigé que le Gattaz veut nous faire croire : le baisser permettrait peut-être l'embauche de quelques chômeurs, mais cela pourrait être compensé par une baisse des salaires là où des employeurs profiteraient du salaire minimum plus bas pour embaucher à moindre coût des personnes qu'ils auraient embauchées de toute manière, même à l'ancien SMIC (effet d'aubaine). Si ce n'est pas compensé par l'Etat, via des mécanismes type 'RSA activité' accrus qui donnent un complément de salaire pour les travailleurs pauvres, cela peut conduire à court terme à une baisse de la demande et de l'emploi, et à long terme à augmenter les inégalités. En revanche, faire peser sur les employeurs le risque social lié à la perte d'emploi (fortes indemnités de licenciement...) n'est pas la meilleure idée. Cela pouvait l'être lorsque produire était une entreprise peu risquée, et que cela protégeait les ouvriers contre la logique d'exploitation, mais beaucoup estiment (dont moi) que c'est moins le cas, et que les coûts de ce degré de protection dépassent leurs bénéfices. Si l'on estime que le chômage est désormais un problème social, et pas de relation employeur/employé, le poids de la protection doit peser sur nous tous, et pas sur un employeur donné. Pour limiter l'aléa moral, on peut bien sûr contraindre les employeurs licenciant le plus à participer un peu plus au financement de cette protection (cette piste est pas mal étudiée) mais il n'est pas exclu que les employeurs transfèrent une partie de ce coût à leurs employés via des salaires moins élevés. 

In fine, la France a un certain contrat social, qu'il ne s'agit pas de remettre en question sous prétexte d'efficacité ou de croissance du PIB à tout prix. Mais il reste qu'on peut améliorer la façon dont on remplit ce contrat social. 






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