mercredi 28 mai 2014

Un point sur la controverse autour de Piketty

UPDATE : La réponse de Piketty détaillant ses choix méthodologiques : ici

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Thomas Piketty, ancien directeur de l'Ecole d'Economie de Paris, a écrit un livre (Le Capital au XXIème siècle) acclamé traitant des inégalités de revenus, du travail et du capital, dans lequel il postule que la croissance des inégalités de revenus provient d'une caractéristique intrinsèque du capitalisme, pas d'un déraillement de celui-ci. Le titre de son livre rappellera peut-être Marx, mais ce qu'il y a de révolutionnaire dans son approche est certes la quantité de données qu'il a pu accumuler sur les distributions de revenus et de richesse au cours du temps et de l'espace, mais également le fait qu'en utilisant un formalisme tout ce qu'il y a de plus classique dans l'analyse économique contemporaine, il observe que si : 

H1 : la croissance diminue
H2 : le taux d'épargne ne diminue pas autant que la croissance diminue.
alors H1 + H2 donnent 
C1: le stock de capital exprimé en ratio de PIB atteint des niveaux plus élevés. 

Ensuite, si : 
H3 : le taux de rendement ne diminue pas autant que la croissance diminue.
Alors C1 + H3 donnent
C2 : la part du PIB revenant aux détenteurs de capital augmente

Enfin, si on a 
H4 : le capital est inégalement détenu.
alors C2 + H4 donnent
C3 : les inégalités de revenus du capital augmentent

Piketty, formé à l'ENS, à l'EHESS, à la London School of Economics et au MIT n'a rien d'un chercheur isolé, il parle le même langage formel et utilise les mêmes outils d'analyse que les économistes anglo-saxons, ce qui peut expliquer que son livre ait autant de succès aux Etats-Unis. 

Un journaliste du Financial Times a reporté sur son blog des erreurs dans les tableaux excel publiés par Piketty sur le site internet de son livre. Ces erreurs portent principalement sur les inégalités de détention du capital (l'hypothèse H4). Il semblerait qu'il ait reporté un chiffre de 1908 pour l'année 1920, qu'il ait fait des hypothèses de retraitement des données qu'il ne justifie pas en détail, et qu'il ait favorisé certaines sources au détriment d'autres pour les données britanniques, encore sans le justifier en détail. Pour ce journaliste, après retraitement des données, il semblerait que les inégalités de la détention de richesses ne se soient pas particulièrement accrues dans les décennies récentes. 

La réaction de la blogosphère a jusqu'à présent été circonspecte. Même s'il est évident qu'il faille faire des choix de retraitement ou de source pour construire des séries qui soient cohérentes au cours du temps, tout le monde s'accord à dire qu'il serait bon que Piketty s'explique sur certains de ces choix. L'erreur de report de 1908 à 1920 est évidemment sans conséquence, et compréhensible pour quiconque a déjà louché devant un tableau excel. Mais la façon dont le Financial Times a reporté l'affaire "Piketty findings undercut by errors" laisse songeur, et on ne peut pas s'empêcher de penser qu'ils essaient de faire monter la mayonnaise et que le soufflé est retombé (j'aime les métaphores alimentaires mixées). 

Les principales critiques de cette critique par le FT étant :

1) Pour la répartition des richesses, le FT aboutit à ces trois graphiques (France, Suède, UK) :


Ce qui ne semble pas fondamentalement différent des séries que Piketty a construites. Pourquoi tout ce tintouin? 

2) Quand bien même les inégalités de richesse seraient constantes, le simple fait qu'elles existent suffit à ce que la thèse centrale du livre de Piketty tienne : si le top 1% des détenteurs de capital détient 30% des richesses, que l'écart entre taux de rendement et taux de croissance ne se réduit pas (on constate que ce n'est pas le cas depuis la fin de la période l'après guerre), et que le stock de capital augmente (ce qui en revanche ne fait aucun doute, et est même encouragé par la plupart des économistes), alors nécessairement la part du PIB revenant au top 1% des détenteurs de capital augmente. C'est d'ailleurs pour ça que Piketty aborde l'inégalité de la détention de richesse au chapitre 10 seulement, puisque le fait que la richesse soit inégalement détenue n'est absolument pas sujet à controverse. En revanche, on constate bien que l'inégalité des revenus  que cette richesse procure a augmenté, ce que le FT ne nie pas. Pour que la thèse centrale s'effondre, il faut faire tomber l'hypothèse H4 et montrer que les inégalité de détention du capital diminuent. Dans un monde ou chacun détient le même pourcentage de capital (on en est loin), le fait que celui soit plus ou moins rémunéré que le travail ne change pas la distribution des revenus. 

Jusqu'à présent, les principales critiques contre le livre étaient assez constructives : le taux de rendement restera-t-il supérieur à la croissance comme semble le suggérer Piketty? dans quelle mesure l'hypothèse de réinvestissement des bénéfices est importante? comment agréger plusieurs types de capital? Il serait souhaitable qu'on revienne à ces discussions, en attendant que les statisticiens de tout poil s'accordent du meilleur retraitement possible des données provenant des meilleures sources. 


PS : 
- un résumé de Piketty, le meilleur que j'aie lu : Brad DeLong
- la critique du FT: Chris Gile
- une revue de blog des réactions à cette critique : Bruegel


Le contrat social

Un développement de Scott Sumner à la suite de l'article de P.Krugman sur le taux d'emploi des 25-54 ans supérieur en France à celui des US, dont j'ai discuté ici


1) On devrait s'attendre à ce que le niveau de productivité horaire soit plus élevé en France qu'aux US, justement parce que les individus les moins productifs sont à l'écart (choisi ou subi) du marché du travail. Or les productivités horaires observées sont virtuellement égales. Soit les français sont effectivement moins productifs, soit non et les inactifs seraient aussi productifs que les autres s'ils étaient en emploi. Je discute de la première hypothèse dans cet article de février dernier, et je montre qu'en supposant que les inactifs sont aussi productifs que les salariés les moins productifs, il suffit pour l'économie française de se spécialiser dans les mêmes secteurs que l'économie américaine pour que les productivités s'égalisent. Ce qui d'ailleurs mets du plomb dans l'aile à l'économie "à la" Montebourg, pour qui il vaut mieux maintenir l'emploi, même dans des secteurs peu productifs. Il reste que la deuxième hypothèse n'est pas à exclure non plus. Le maintien dans l'emploi de cadres en fin de carrière, que leur employeur aurait aimé garder s'ils n'avaient pas eu la possibilité de partir en retraite peut autant relever la productivité que l'entrée dans l'emploi d'étudiants ou immigrés moins qualifiés peut la baisser. Je n'ai pas connaissance de papier étudiant cette hypothèse... 

Aussi, la question des rigidités sur le marché du travail est complexe, et il y a plusieurs manières de l'aborder.

2) Premièrement, côté offre de travail (un salarié offre son travail à un employeur), tous les pays développés ont mis en place des mesures qui influent sur l'offre de travail et sur le nombre d'heures travaillées (congés payés, âge de départ à la retraite, coût des études supérieures, système de santé...). A l'instauration de chaque mesure, on peut se demander si les bénéfices (qui ne sont pas toujours économiques, car tout n'est pas économique dans ce monde) dépassent les coûts attendus. Par exemple, la cinquième semaine de congés payés peut réduire le nombre d'heures travaillées (coût en terme de revenus pour chaque français), mais peut permettre de réduire le degré moyen de stress. Chacun ayant sa propre analyse coût/bénéfice, car chacun ayant son propre arbitrage travail/loisir, l'Etat doit faire au mieux pour agréger nos préférences. En choisissant une solution médiane commune à tous, il est évident que personne ne sera content, mais cela peut être la solution qui minimise le mécontentement total. Cela peut également être préférable à une situation de laissez-faire, dans laquelle les plus vulnérables peuvent ne pas avoir le même degré de liberté que les plus aisés. Par exemple, je connais un certain nombre de cadres supérieurs qui seraient prêt à passer aux 4/5 ou à avoir une semaine de congés en plus, quitte à perdre un peu de revenus, mais je doute que ce soit le cas de quelqu'un ayant des fin de mois difficiles. Pour cette raison, les 35h ont probablement plus profité aux cadres qu'aux ouvriers, et la possibilité (fortement incitée) de partir à la retraite tôt pour quelqu'un ayant des hauts revenus est à la fois un coût en terme de PIB et en terme de finances publiques (lien). Au final, en comparant deux pays, mieux vaut garder en tête que chaque pays a ses propres choix sociaux, mais que les politiques mises en place ne sont pas toujours celles permettant de mieux satisfaire ce choix. C'est une des raisons d'être de la profession d'économiste d'aider le politique à remplir le contrat social. Ce dernier peut évoluer d'ailleurs, comme par exemple aux Etats-Unis, où une majorité d'américains soutiennent désormais un système de santé obligatoire et abordable pour tous, une mesure qui a tendance à réduire l'offre de travail en limitant le phénomène de 'job lock' (ne pas quitter son emploi même si on le souhaite par peur de perdre sa couverture santé). 

3) Côté demande de travail (=offre d'emploi par les employeurs), il s'agit aussi de peser les bénéfices et les coûts attendus. Et là, je suis plutôt d'accord avec Scott Sumner, il y a de gros progrès à faire en France. Un salaire minimum élevé peut avoir un impact plus mitigé que le Gattaz veut nous faire croire : le baisser permettrait peut-être l'embauche de quelques chômeurs, mais cela pourrait être compensé par une baisse des salaires là où des employeurs profiteraient du salaire minimum plus bas pour embaucher à moindre coût des personnes qu'ils auraient embauchées de toute manière, même à l'ancien SMIC (effet d'aubaine). Si ce n'est pas compensé par l'Etat, via des mécanismes type 'RSA activité' accrus qui donnent un complément de salaire pour les travailleurs pauvres, cela peut conduire à court terme à une baisse de la demande et de l'emploi, et à long terme à augmenter les inégalités. En revanche, faire peser sur les employeurs le risque social lié à la perte d'emploi (fortes indemnités de licenciement...) n'est pas la meilleure idée. Cela pouvait l'être lorsque produire était une entreprise peu risquée, et que cela protégeait les ouvriers contre la logique d'exploitation, mais beaucoup estiment (dont moi) que c'est moins le cas, et que les coûts de ce degré de protection dépassent leurs bénéfices. Si l'on estime que le chômage est désormais un problème social, et pas de relation employeur/employé, le poids de la protection doit peser sur nous tous, et pas sur un employeur donné. Pour limiter l'aléa moral, on peut bien sûr contraindre les employeurs licenciant le plus à participer un peu plus au financement de cette protection (cette piste est pas mal étudiée) mais il n'est pas exclu que les employeurs transfèrent une partie de ce coût à leurs employés via des salaires moins élevés. 

In fine, la France a un certain contrat social, qu'il ne s'agit pas de remettre en question sous prétexte d'efficacité ou de croissance du PIB à tout prix. Mais il reste qu'on peut améliorer la façon dont on remplit ce contrat social. 






mardi 27 mai 2014

L'incapacité de douter

Quand le FT persiste et signe :

”Some on the left and right in France will instinctively respond by turning against the painful economic reform programme that Mr Hollande has finally adopted. This would be a mistake. The only viable path for France is to press ahead with tax cuts and spending reductions that can sustain growth. This may be unpopular. But after this weekend’s results, Mr Hollande has nothing left to lose by sticking to that course.”



C’est tout de même fascinant, ils sont tellement certains des bénéfices futurs de leurs politiques économiques que leur seule réaction aux mauvaises nouvelles (économiques ou politiques) est d’héroïser ceux qui les adoptent. Pour arriver à de ce degré de certitude, je me demande dans quelle bulle il faut vivre. 

Je ne dis pas qu’ils ont nécessairement tort (même si je le pense, comme le suggère la recherche économique et les forts multiplicateurs budgétaires lorsque les taux sont proches de zéro) mais on peut au moins douter? 

Visiblement non. 

The Ethics of Immigration (J.Carens)

Une bonne lecture au lendemain d'élections européennes déprimantes : 
Joseph Carens : The Ethics of Immigration

Voir un excellent résumé ici : lien

lundi 26 mai 2014

Europe's secret success

Non, ce n'est pas sa propension à voter extrême-droite, mais un très bon taux d'emploi pour les 25-54 ans, meilleur qu'aux USA : Paul Krugman. Grosso modo, ce taux d'emploi (proportion des 25-54 ans à occuper un emploi) est de 5 points supérieur en France par rapport aux USA, alors que c'était l'inverse à la fin des années 90. 

Alors pourquoi dit-on que les français travaillent moins que les américains? Parce que :

1) Un travailleur français travaille 1492 heures par an, dans la moyenne européenne (et 70 heures de plus qu'un allemand), contre 1792 heures pour un américain. 

2) Les 18-25 ans sont moins présents sur le marché du travail car ils ont moins besoin de travailler que les américains pour financer leurs études. D'ailleurs, une bonne partie du chômage des 18-25 ans provient du fait que les personnes n'ayant pas fait d'études sont sur-représentées parmi les 18-25 ans cherchant du travail. 

3) Les incitations au départ à la retraite le plus tôt possible sont plus élevées, et d'autant plus que les revenus sont élevés. Il est possible de maintenir les CSP+ dans l'emploi en leur permettant de cumuler une partie de leur retraite avec leur salaire, et/ou de réellement favoriser les départs tardifs. 

jeudi 22 mai 2014

Etre éditorialiste et faire mentir les chiffres

Mentir, c'est un métier. Il faut un certain talent et beaucoup de culot, pour pouvoir à ce point tordre les chiffres. Je prendrai comme exemple les articles de Pierre-Antoine Delhommais (ci-après PAD), éditorialiste au Point. Ça tombe sur lui, mais ça aurait pu être un autre. Tant pis pour lui. 

Commençons par l'article d'aujourd'hui intitulé : "La France et ses comptes de fées". Dans cet article, PAD annonce la couleur en citant Churchill : "Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées". Joignant le geste à la parole, s'ensuit un gloubi-boulga de chiffres destinés à embrouiller le lecteur, et dont voici la substantifique moelle : 
" Nicole Bricq, en avait officiellement présenté, à Bercy, les résultats pour l'année 2013 : un déficit de 61,2 milliards d'euros, en recul de 6 milliards par rapport à 2012 (...) Le hic, c'est que l'Office européen des statistiques n'arrive pas du tout au même résultat. Selon Eurostat, le déficit commercial de la France n'a pas été en 2013 de 61,2 milliards d'euros, comme annoncé par Paris, mais de 76,3 milliards"

Le hic, comme il dit, c'est que ce chiffre de 76.3 Milliards n'est pas publié par Eurostat, qui publie les chiffres du commerce extérieur que l'INSEE lui envoie, voici les déficits commerciaux publiés depuis fin mars 2014 pour les années 2011 à 2013 : 

Source : Eurostat
Et voici les chiffres publiées par la France avant le changement de méthodologie du 15 mai dernier : 


Source : INSEE

Comme on peut le constater, le solde total est rigoureusement identique. La PCHTR correspond au solde touristique : s'il est positif, cela signifie que les touristes étrangers consomment plus en France que les touristes français à l'étranger. La France étant un pays touristique, c'est le cas. 

Le solde des biens d'Eurostat correspond au solde des biens de l'INSEE augmenté de la correction CAF-FAB. Celle-ci est l'objet du délit pour PAD, puisque c'est elle qui permet d'avoir un écart entre le 74.7 milliards d'euros de déficit (73.6 d'après PAD, on est proche) et le 61.2 Milliards de Nicole Bricq (proche des 58.4 milliards d'Eurostat). Puisque PAD ne souhaite pas "entrer dans les détails techniques", on ne va pas se gêner, nous. Toutes les douanes du monde enregistrent les exportations et les importations au prix à la frontière de leur pays. Seulement, lorsque la France importe un iPhone depuis la Chine, le prix au port de Shanghaï (enregistré par les douanes chinoises) est différent du prix au port du Havre (enregistré par les douanes françaises). Cette différence correspond à la marge du transporteur, qui sera ensuite enregistrée comme export de service pour le pays de résidence du transporteur. Afin de réconcilier les données de chaque pays, les administrations statistiques (INSEE, Eurostat...) se sont mises d'accord pour enregistrer les données au prix à la frontière du pays exportateur, ce qui permet de faire notamment la différence importations moins exportation, la logique étant de faire la différence entre les rémunérations des pays producteurs. Dans le cas de la France important son iPhone depuis la Chine, il faut donc enregistrer les importations au prix à l'embarquement à Shanghaï, donc hors coût de transport. Si le transporteur est philippin, la France importe du service de transport depuis les Philippines. 

Mais PAD est soit ignorant, soit malhonnête, puisqu'il prétend que la Direction Générale des Douanes est la seule direction statistique du monde à comptabiliser les importations à la frontière chinoise (FAB pour "franco à bord"), contrairement à Bruxelles qui comptabiliserait en CAF (Coût d'assurance et de fret inclus). Alors que c'est parfaitement le contraire, les douanes comptent en CAF pour les importations, et FAB pour les exportations, et Bruxelles, comme l'INSEE, corrigent cela pour obtenir tout en FAB. Le ministère du commerce extérieur fait la même chose. Les allemands et les italiens font la même chose. Et d'ailleurs, c'est parfaitement normal que la correction CAF-FAB améliore le solde commercial des biens, puisque qu'on se contente d'enlever du prix des biens importés le coût de transport. Si on ne l'enlevait pas, on le compterait deux fois : comme importation de biens, et comme importation de service de transport. 

Par exemple, prenez la publication du ministère du commerce extérieur (lien), et vous verrez qu'ils parlent de CAF-FAB (environ 79.1 Milliards d'après leurs estimations de février) et de FAB-FAB sur lequel ils titrent (les fameux 61.2 Milliards de Nicole Bricq). Il est toujours possible de retrouver le chiffre hors correction CAF-FAB, puisqu'il suffit pour chaque pays de faire la somme des soldes commerciaux pour chaque secteurs industriels (ce que fait l'INSEE), la correction étant ensuite estimée à part, tous secteurs confondus, et ajoutée au total, l'INSEE choisissant de ne pas faire la distinction entre biens et services, Eurostat choisissant d'imputer toute la correction CAF-FAB aux biens. 

Sachant cela, je vous laisse apprécier la suite de l'éditorial : 
"Il n'en reste pas moins que les spécificités méthodologiques françaises ont pour heureuse conséquence d'améliorer de façon significative les résultats de notre commerce extérieur par rapport à ceux que fournit Eurostat, ce qui est forcément un peu dérangeant. D'où aussi cette question naïve : le gouvernement conserverait-il les mêmes méthodes de calcul si elles avaient pour effet d'augmenter le déficit et non, comme c'est le cas, de le réduire ? (...) Les statistiques françaises du commerce extérieur présentent cette grande originalité de ne pas être fausses mais de ne pas être fiables. Compte tenu de leur spécificité, impossible de s'appuyer sur elles, par exemple, si l'on souhaite comparer notre balance commerciale, donc notre compétitivité, avec celle des autres pays. Ce sont les données en provenance de Bruxelles, de Berlin ou de Rome, cohérentes entre elles, qu'il faut alors consulter."
A quand la disparition de ces faux économistes?


PS : Ces chiffres doivent être mis à jour du changement méthodologique du 15 mai dernier (commun à tous les pays européens, mais la France et les Pays-Bas sont les premiers à avoir appliqué ces nouvelles méthodes, les autres pays ayant jusque septembre), puisque désormais ce n'est plus le passage de frontière qui détermine l'exportation ou l'importation mais le changement de propriété. Par exemple, dans le cas du négoce international, un marchand français achetant des voiture en Turquie pour les revendre en Russie, sans que cela ne passe la frontière française, exportait un service commercial égal à sa marge. Désormais, c'est comptabilisé en importation depuis la Turquie puis exportation vers la Russie. Autre exemple, le cas du travail à façon, une usine française envoyant un produit non fini en Espagne pour qu'il soit modifié avant de revenir terminer sa chaîne de production en France, exportait un bien et importait un bien. Désormais, seule la marge de l'entreprise espagnole est importée. Bref, tout cela change les niveaux et répartit différemment les exports et imports, certains pays y gagnant d'autres y perdant. Cela donne la série suivante pour la France, publiée sur le site de l'INSEE et bientôt sur Eurostat. 

Source : INSEE

Au final, quel que soit le chiffre que vous regardez, le déficit commercial français s'est réduit d'entre 6 et 9 milliards en 2013. 


lundi 19 mai 2014

Que fait la banque centrale, concrètement?

Lorsqu'on étudie la macroéconomie, on commence par étudier des modèles dans lesquels la masse monétaire en circulation est déterminée par la banque centrale. C'est une vision archaïque mais pratique, qui permet de mettre dans le même sac le crédit, la planche à billets, etc ... Puis à un niveau avancé, on passe à des modèles dans lesquels la banque centrale détermine le taux d'intérêt. La transition entre ces modèles n'est jamais vraiment concrètement expliquée. D'ailleurs, certains modèles sont volontairement ambigus : on peut très bien imaginer que la banque centrale a une cible de taux d'intérêt, qu'elle atteint en faisant fluctuer la masse monétaire. On peut aussi imaginer que la banque centrale décide unilatéralement du taux d'intérêt, et que la masse monétaire en découle. 

1) Les taux

Avant de répondre à la problématique posée dans le titre, il faut d'abord comprendre pourquoi c'est important de savoir ce que fait la banque centrale. Un des principaux mécanismes de transmission de la politique monétaire à l'économie réelle est celui du taux d'intérêt réel. Le taux d'intérêt réel, c'est le taux d'intérêt nominal, celui que vous connaissez quand vous contractez un crédit immobilier à 3.2% ou que votre Livret A est rémunéré à 1.25%, moins le taux de dépréciation de la monnaie, c'est-à-dire l'inflation : si vous empruntez 1000 euros à 2% aujourd'hui, vous devez rembourser 1020 euros l'an prochain, mais si 1 euros de demain vaut 0.98 euros de maintenant, vous devrez rembourser demain à peu près 1000 euros de maintenant. 

C'est la relation de Fisher, et ça s'écrit : 
taux réel (r)= taux nominal (i) - inflation anticipée (pi_e , e pour "expected"). 

En macro, il y a un taux unique essentiel qui permet, en théorie, de retrouver tous les autres, c'est le taux à très court terme sans risque. Pour retrouver le taux à long terme sans risque, il suffit de composer les taux à court terme sans risque actuel actuels et anticipés pour les périodes futures : si on pense que le taux à 1 an sans risque est de 1%, et qu'il restera à 1% pendant 10 ans, le taux annualisé à 10 ans sans risque est de 1%. Pour passer aux taux risqués, c'est-à-dire lorsqu'il y a une probabilité non nulle que l'emprunt ne soit pas remboursé, il suffit de rajouter à chaque taux sa prime de risque, calculée de façon à ce que les créanciers ne perdent pas d'argent même en tenant compte des mauvais emprunteurs. Ainsi, si la banque centrale parvient à fixer le taux à très court terme sans risque, elle est capable d'influencer tous les autres, les primes de risque et anticipations faisant le reste. 

Mais pourquoi le niveau de ce taux est important pour l'économie réelle? Principalement par le canal de l'investissement. Les entreprises et les ménages investissent, soit pour atteindre de nouveaux marchés, soit pour se loger (parce que la population augmente ou parce qu'on veut plus grand par personne), soit pour renouveler un stock de capital se dépréciant, soit pour renouveler un stock de capital rendu obsolète par une innovation technologique. Un des facteurs essentiels pour la rentabilité d'un investissement est le taux réel auquel le projet devra se financer. Plus le taux réel est élevé, moins les projets seront rentables, certains devant probablement être abandonnés. La demande de crédit est donc inversement proportionnelle au taux d'intérêt réel. 

Idéalement, la banque centrale "vise" un taux nominal et une inflation qui lui permettent d'égaliser le taux réel au taux "naturel" de l'économie, c'est-à-dire celui déterminé par l'offre et la demande de fonds prêtables. Si la demande d'investissement de l'économie diminue sans que l'épargne diminue d'autant, le taux naturel diminue car trop peu de projets sont assez rentables au taux initial pour égaliser investissement et épargne. Dans ce cas, la banque centrale vise un taux nominal plus faible et/ou une inflation plus élevée pour égalisée r et i-pi. 

Cependant, et pour des raisons de d'indétermination de l'équilibre, la banque centrale peut avoir envie de sur-réagir à un choc sur le taux naturel, notamment si ce choc est temporaire. A anticipation d'inflation bien ancrées, cela peut impliquer de baisser le taux nominal plus que la baisse du taux naturel due à un choc de demande. L'indétermination, c'est un peu compliqué, voir ici pour les personnes intéressées (nerds!). 

Bref, le taux d'intérêt nominal, c'est important, parce que le taux réel fluctue avec et que si le taux réel est trop éloigné du taux naturel, l'économie est déprimée (taux réel trop élevé) ou en surchauffe (taux réel trop bas). 

2) La banque centrale

Finalement, que fait la banque centrale? Les modèles élémentaires de macro supposent qu'elle choisit combien de billets de banque elle va mettre en circulation chaque jour. Lorsque cette quantité augmente, le PIB en valeur (Prix x PIB en volume) augmente, c'est-à-dire que la croissance et/ou l'inflation augmente. Lorsque cette quantité augmente, le taux d'intérêt nominal baisse également.

Mais toute personne informée sait bien que ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent, puisque la monnaie est principalement détenue sous forme de dépôts à vue, et non de pièces et billets. On introduit ainsi le concept de multiplicateur monétaire : pour 1€ en billet, pièce, ou réserve détenue auprès de la banque centrale, les banques "multiplient" ce montant en prêtant et créant des dépôts à hauteur de 10, 20 ou 100€, dans la limite du taux de réserve obligatoire. C'est une vision un peu plus proche de la réalité mais qui conduit toujours à penser que la banque centrale crée la monnaie, et que les banques se contentent de multiplier par un facteur fixe la monnaie créée. Au final, ça revient au même. 

Par exemple, dans le modèle IS-LM où il n'y a pas d'inflation : 


Cela conduit à penser que la banque centrale choisit l'offre de monnaie, mais que si elle a une cible de taux, il lui suffit de choisir le M qui permet d'obtenir le i qu'elle veut. 

En vérité, la banque centrale ne décide pas du montant de pièces & billets en circulation, et ne décident pas vraiment non plus des réserves détenues par les banques chez elles. Le graphique ci-dessous expose en terme d'actifs/passifs comment fonctionne la création monétaire : 

Création monétaire


Au début, la banque centrale détient des actifs en contrepartie des réserves détenues par les banques commerciales chez elle. La banque centrale est un peu la banque des banques. Les banques commerciales elles, détiennent donc dans leurs actifs les fameuses réserves et des actifs divers, en contrepartie des dépôts à court et long terme que le secteur non financier détient (ménages + entreprises). La grandeur qui approche le plus la définition de la monnaie (ne rémunère pas et est disponible de suite) est la quantité M1 de dépôts à court terme. 

En fonction de la quantité M1, la banque choisit de répartir ses actifs de façon à maximiser son profit (les actions et les prêts sont mieux rémunérés) pour un risque donné, tout en respectant sa contrainte de liquidité. Si elle maintient trop peu de réserve pour faire face aux retraits ou virements quotidiens, elle peut ne pas avoir assez de temps dans la journée pour vendre des obligations pour payer le retrait ou le virement. Mais si elle maintient trop de réserves, elle perd l'argent qu'elle aurait pu gagner en investissant ailleurs. La banque va donc comparer combien lui rapportent ses réserves par rapport à d'autres modes de détention d'actifs. Ce que lui rapportent ses réserves, c'est un des taux d'intérêt fixé par la banque centrale. Un autre canal de taux pour la banque centrale est le taux de refinancement, très utilisé par la BCE : la banque centrale prête aux taux "refi" aux banques en créditant leurs réserves. 

Mettons qu'une entreprise emprunte pour construire un entrepôt. Un dépôt et un prêt sont créés au passif et à l'actif des banques. Le dépôt correspondant est dépensé pour construire l'entrepôt, donc va créditer les comptes en banque des fournisseurs de l'entreprise, mais reste dans l'économie pour l'instant : quelque part il existe un dépôt en plus. L'offre de monnaie a donc augmenté, sans que la banque centrale ne décide de quoi que ce soit. 

Mais du point de vue des banques commerciales, le ratio M1/M0 des passifs de court terme sur les actifs de court terme a augmenté. Pour rétablir ce ratio à un niveau permettant de respecter la contrainte de liquidité, les banques commerciales peuvent avoir envie de demander des réserves supplémentaires à la banque centrale, qui les fournira sur demande. 

Cela peut prendre plusieurs formes, par exemple une opération d'open market, où la banque centrale rachète des titres de long terme (des obligations d'Etat typiquement) aux banques commerciales. 

Opération d'open-market
Ou bien des opérations de refinancement, lorsque la banque centrale prête directement. Dans ce cas, la dette des banques (dette refi) est assimilable à un dépôt puisqu'elle est exigible rapidement par la banque centrale.

Les deux opérations permettent aux banques de réduire le ratio M1/M0, mais n'ont pas le même impact sur ce ratio pour une augmentation donnée du bilan de la banque centrale. 

A augmentation du bilan de la banque centrale de 100 : 
=>Opération d'Open-Market : M1/M0 devient M1/(M0+100)
=>Opération de refinancement : M1/M0 devient (M1 + 100) / (M0 + 100), diminue si M1>M0. 

D'autres opérations peuvent être imaginées par la banque centrale (les banquiers centraux ont plein d'imagination), comme les opérations de refinancement à long terme (BCE en fin 2011) dans lesquelles la dette refi n'est plus de court-terme mais d'échéance 3 ans par exemple, ou le quantitative easing (Fed et BoE principalement) dans lequel la banque centrale achète directement des actifs sans passer par les banques commerciales. 

In fine, en déterminant le taux auquel ces opérations se font, la banque centrale est capable d'influencer l'offre de crédit des banques. Si le taux de rémunération des réserves est important par exemple, ou si c'est coûteux de se refinancer au jour le jour, cela pousse dans les deux cas à maintenir un matelas de réserve plus important en proportion des actifs totaux, ou bien à augmenter les taux d'intérêts des emprunts. Ceux-ci étant ensuite contraints par la demande de crédit de l'économie, les banques ne peuvent pas l'augmenter éternellement sans voir la demande de crédit s'effondrer. Le résultat final est un subtil équilibre en toutes ces contraintes.

Pourquoi ce fonctionnement est-il si différent du multiplicateur monétaire? D'abord parce qu'il n'y a aucune raison que le multiplicateur monétaire soit constant. Si les banques souhaitent détenir 3% de réserves une année, il n'est pas dit que cela ne tombera pas à 2% l'année suivante. La banque centrale peut fixer un plancher pour éviter aux banques de se surexposer au risque de liquidité, mais ce plancher peut être dépassé, comme c'est le cas depuis 2008. Ensuite, si les entreprises et les ménages ne veulent pas s'endetter, même à un taux très bas, même à un taux négatif, il n'y a rien que les banques commerciales puissent faire. D'ailleurs, si une banque venait à prêter à taux zéro, rien n'empêche le débiteur de rembourser une dette antérieure avec le dépôt créé, et le bilan de création monétaire est nul. Dans l'histoire, la situation de la banque s'est même dégradée puisqu'elle a remplacé un prêt ancien à taux a priori positif par un prêt à taux zéro. La responsabilité du niveau de masse monétaire en circulation dépend ainsi de tous les agents de l'économie, et principalement de l'économie réelle. 

Ainsi, deux explications sont possibles pour la crise de 2008 et son déroulement depuis. La masse monétaire en circulation s'est réduite, mais cela peut être dû 1) au fait que les banques ont asséché le crédit en préférant détenir des réserves auprès de la banque centrale 2) au fait que les ménages choisissent de se désendetter. 

Les deux sont probablement un peu vraies. 

PS : le marché interbancaire, c'est quand une banque ayant trop de liquidité prête à court terme à une banque ayant peu de liquidité. Cela a tendance à égaliser les ratios M1/M0 des banques, sans changer ce ratio total lorsqu'on consolide les bilans. Si le marché interbancaire ne fonctionne plus, toutes les banques se retournent vers la banque centrale, auquel cas la banque centrale est obligée d'augmenter son bilan. 





mercredi 14 mai 2014

La dette extérieure est-elle un fardeau pour l'avenir?

Je veux compléter un point abordé dans le post sur les mouvements de capitaux (lien). 

Dans ce post, je dis qu'un pays ayant une balance courante négative est un pays qui investit plus qu'il n'épargne, ce qui le conduit à détériorer sa position extérieure nette. On m'a récemment demandé si c'est bien ou si c'est mal. La réponse, comme vous pouvez vous en douter, est que ça dépend. Déjà de votre définition du bien et du mal, mais si on reformule en termes économiques, on peut se demander si c'est soutenable, si ça favorise ou dégrade la situation à long terme. 

On sait que le PIB est la somme des revenus des entités résidentes, ces revenus étant ensuite: 

1) consommés, par l'Etat et les ménages principalement.

2) investis dans le pays, c'est-à-dire qu'ils servent à ajouter du capital à l'économie. Si vous achetez une maison à un autre ménage, il n'y a aucun investissement de fait, puisque vous ajoutez du capital à votre bilan mais l'autre ménage en retire le même montant du sien. 

3) investis à l'étranger. 

On a donc Y = C + I + BC
où BC est la balance commerciale. I s'appelle également la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF). Enfin, C est la consommation des ménages et de l'Etat réunis : les impôts servent à donner à l'Etat les moyens de consommer pour vous. Les retraites ne sont pas de la consommation de l'Etat, c'est juste un transfert dans le temps. Le salaire des professeurs est de la consommation publique, elle est même individualisable car on peut identifier exactement pour qui l'Etat consomme des professeurs (les ménages dont les enfants vont à l'école). La solde des militaires est de la consommation publique mais elle n'est pas individualisable. 

Prenons par exemple la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 

Source : Eurostat

L'Allemagne consomme 76.9% de son revenu, en investit 16.7% en Allemagne, puis investit les 6.3% restant à l'étranger, soit parce que les banques allemandes achètent des titres de dette français ou italiens, soit parce que les ménages allemands achètent un pied-à-terre aux Baléares. 

La France consomme 82.4% de son revenu, en investit 19.6% en France, mais doit trouver des investisseurs étrangers à hauteur de 2% de son PIB pour combler le déficit d'épargne correspondant. 

Le Royaume-Uni consomme 87.3% de son revenu, en investit seulement 14.5% et malgré cela doit trouver 1.6% d'investissement étrangers. 

Ceci n'est qu'une égalité comptable, on ne peut pas dire simplement que la balance commerciale est négative parce que l'Etat consomme l'argent prêté par des banques étrangères mais que tout le reste est à l'équilibre; ni parce que les entreprises investissent tellement plus en France qu'elles ont un fort besoin en capital, dont une partie vient de l'extérieur; ni parce que les ménages français s'endettent auprès de banques en partie étrangères pour construire leur maison. Tout cela est certainement un peu vrai, mais regarder un chiffre seul ne donne aucune information. D'autant que d'après le principe d'universalité budgétaire, on ne peut pas associer une recette donnée à une dépense donnée (est-ce-que je travaille la première ou la dernière semaine du mois pour payer mon loyer?). 

Cependant, la fourmi de la fable dira qu'il vaut mieux que le pays ait une balance commerciale positive, c'est pourquoi il est naturel pour beaucoup d'avoir un biais en faveur du surplus, même si cela passe par la privation. C'est très moraliste. Mais l'économie n'est pas une fable morale. 

Comparativement à l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni s'endettent vis-à-vis de l'extérieur de 8 points de PIB de plus chacun. Pour le Royaume-Uni, ces 8 points de plus se retrouvent entièrement dans la consommation, publique comme privée, la FBCF étant même plus faible qu'en Allemagne. En somme, comparativement à l'Allemagne, le Royaume-Uni (Etat + ménages + entreprises) s'endette pour consommer. 

Pour la France, le bilan est plus mitigé. La consommation privée est identique, mais la consommation publique et la FBCF sont supérieures, donc comparativement à l'Allemagne, la France dans son ensemble s'endette à l'extérieur pour payer de la consommation publique et de l'investissement. On peut d'ailleurs regarder l'investissement public et privé, et on constate en 2012 (les données de 2013 ne sont pas encore dispos pour ces deux pays) que l'investissement privé en France est de 16.6% contre 16.1% pour l'Allemagne. Donc un quart de l'écart d'investissement provient du fait que le secteur privé français investit plus, et trois quart du fait que l'Etat français investit plus. 

D'ailleurs si on regarde la situation de la France puis 1997. Je note trois points dans le temps : en 1997, la balance commerciale de la France était positive, en 2004 elle était quasi nulle, en 2013 elle est négative. Que s'est-il passé? 
Source Eurostat
De 1997 à 2004, la balance commerciale est devenu nulle non pas parce que les ménages ou l'Etat se sont mis à consommer une plus grande part de leur revenu qu'auparavant, mais parce que l'investissement a augmenté. On a donc arrêté d'investir à l'étranger pour investir en France. De 2004 à 2013, l'investissement n'a que très légèrement augmenté, mais les consommations publique comme privée ont augmenté de près de 1 point de PIB.

Que retenir de tout cela? D'abord que faire du surplus pour le principe de faire du surplus n'a aucun sens. Ce surplus commercial peut très bien être investi dans les frontières du pays, augmentant la demande intérieure et rendant la balance commerciale nulle. Mais pourquoi certains pays maintiennent-ils des surplus commerciaux? Cela peut provenir de leur modèle économique très productiviste, lié aux secteurs dans lesquels l'économie s'est spécialisée. Les comportements de consommation et d'épargne étant assez rigides et dépendant fortement des structures sociales et institutionnelles, les agents peuvent être forcés d'investir à l'étranger par manque d'opportunité ou de besoin d'investissement dans leur pays. 

On retrouve ce comportement dans des pays à la population déclinante (Japon, Allemagne) : les investissements locaux ne sont pas payants, rien de sert de construire de nouveaux immeubles, nouvelles routes, nouveaux commerces si personne ne les utilisera. Les ménages japonais et allemands cherchent donc des rendements ailleurs. Dans des pays très inégalitaires ou ne cherchant pas à se développer, la même chose peut se produire : les oligarques accumulent des actifs étrangers, ce qui n'a aucun effet sur la population locale. 

De même, une balance commerciale négative servant à financer un surplus d'investissement peut traduire un certain dynamisme de l'économie : forte croissance démographique ou fort renouvellement des technologies, ce qui conduit à construire de nouvelles infrastructures ou bien à renouveler les anciennes. Pour éviter de se priver de consommer, on peut s'endetter à l'extérieur (auprès des pays à population déclinante par exemple), mais tant que le PIB nominal croît en moyenne plus vite que la dette, celle-ci est largement soutenable (voir le cas des USA par exemple). Si les investissements permettent en outre d'améliorer les perspectives de croissance, cela rend le critère de soutenabilité encore plus facile à atteindre. 

Enfin, une balance commerciale négative servant à financer la consommation n'améliore pas les perspectives de croissance à long terme, mais peut toujours être soutenable si le PIB croît tout de même plus vite. Le critère de soutenabilité est cependant plus contraignant. 

Bref, les seules questions qui valent sont : 
1) L'économie se développe-t-elle comme elle le devrait, réalise-t-elle les meilleurs investissements? 
2) La façon dont ces investissements est financée, que ce soit par l'épargne ou par l'endettement, est-elle optimale/soutenable? 


NB : Le déficit public n'existe pas dans cette analyse, car c'est la différence entre les transferts monétaires nets des ménages vers l'Etat (impôts et cotisations moins retraites, allocations, etc...) et la somme de la consommation publique et de l'investissement public. La variable cachée est donc les transferts nets, dont l'ajustement ne change rien à la situation extérieure du pays. 




mardi 13 mai 2014

lundi 5 mai 2014

Is France "losing" its corporate champions?

To sum up : the opposite could not be more true, but we don't know whether it is good or bad for the French economy : 

(link)