mardi 30 septembre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 2)

On a vu dans le premier épisode que la première partie de cet article du Monde ne rendait pas honneur à la qualité du débat sur le coût de la transition écologique. Mais la deuxième partie, et plus particulièrement le paragraphe suivant, souligne l’incompréhension totale qui règne quand il s’agit de croissance économique :
"Le noeud du désaccord tient à la nature même de l'économie. Deux visions, en somme, s'opposent. Une vision de physicien, dans laquelle le système économique est une sorte de machine rigide qui, adjuvée par l'ingéniosité humaine, transforme en richesses des flux de matières et d'énergies. Dans cette vision « physicienne », la principale souplesse du système face à la réduction des flux de matières et d'énergie est l'excès d'endettement. Dans un article publié en janvier 2012 par Nature, James Murray (un océanographe) et David King (un chimiste) voyaient par exemple la crise de la zone euro comme une conséquence économique de la raréfaction du pétrole conventionnel – dont le pic de production a été franchi en 2005.
La vision des économistes mainstream est différente. Elle envisage plutôt le système économique comme une machine souple, plastique, qui peut voir son apport de matière et d'énergie modifié, sans conséquences dramatiques sur la richesse produite en définitive. Et, de fait, la notion même de richesse repose aussi sur des croyances collectives déconnectées de la réalité matérielle du monde.
Laquelle de ces deux visions concurrentes est-elle celle qui décrit le mieux les choses ? On se gardera bien d'être assez fat pour trancher. L'avenir s'en chargera bien assez tôt."
Au sujet de l’articulation entre croissance économique et énergie, il y a effectivement un malentendu entre les physiciens (au sens large) et les économistes. Ce n’est en revanche pas un débat, il n’y a pas d’échanges d’arguments dans la mesure où le paradigme de réflexion n’est pas le même, et n’a de toute manière pas vocation à être le même. La France ayant une forte tradition d’ingénieurs plus que d’économistes, on y voit souvent des scientifiques raisonner sur le fonctionnement de l’économie, et juger « les économistes » comme une population vendue à l’ultra-libéralisme financier donc indigne d’intérêt. La tribune de Krugman citée par le Monde résume très bien ce problème :

“And you sometimes see hard scientists making arguments along the same lines, largely (I think) because they don’t understand what economic growth means. They think of it as a crude, physical thing, a matter simply of producing more stuff, and don’t take into account the many choices — about what to consume, about which technologies to use — that go into producing a dollar’s worth of GDP”

Beaucoup de physiciens dont l’expertise scientifique est de grande valeur disent n’importe quoi sur l’économie. Les deux scientifiques cités par le Monde ne font pas exception. Leur article dans Nature est très intéressant quand il reste dans le domaine de l’évaluation des réserves restantes de pétrole et de gaz naturel, et leur expertise est utile pour déterminer non seulement la quantité de gaz et de pétrole restant sur la planète, mais également le coût pour y accéder. En revanche, l’article part dans le décor dès qu’il s’aventure sur le terrain de la macroéconomie, justifiant l’augmentation du déficit commercial italien dans les années 2000 par l’avènement du Peak Oil, et en prétendant que l’augmentation des prix du pétrole a joué un rôle majeur dans la crise de la zone euro. Les arguments contre la thèse du Peak Oil comme cause de la crise de l’euro sont inombrables : Pourquoi seulement la zone euro ? Comment expliquer les divergences de balance commerciale entre Italie et Allemagne ? Pourquoi tout ne va pas mieux maintenant que le prix du pétrole a retrouvé son niveau tendanciel ? Si c’est bien un choc pétrolier qui explique la crise, où est l’inflation ?

En vérité, les deux paradigmes ne devraient pas s’opposer car ils ne sont pas incompatibles. D’un côté, on peut étudier l’activité humaine et son impact sur l’environnement. Pour cela, il est utile d’adopter un raisonnement de physicien, de définir le système étudié, d’appliquer les lois de conservation de l’énergie… Si cette étude conclut que la trajectoire des émissions de CO2 est insoutenable, et qu’à défaut de l’infléchir l’humanité encourt des risques intolérables, il n’y absolument rien à redire. Le raisonnement économique en revanche consiste à étudier le système de création de valeur économique, à ressources données. Ce n’est pas un raisonnement énergétique, la création de valeur économique est subjective et changeante selon les préférences des agents. Les ressources qui servent « d’input », pour reprendre la terminologie physicienne, sont bien évidemment les ressources naturelles au sens très large (une plage est une ressource naturelle utile à la création de valeur économique dans le secteur du tourisme), mais également le potentiel de temps de travail humain et le capital productif. 

L’économiste ne porte aucun jugement sur la quantité de ressources disponibles. Les ressources naturelles N et le temps de travail L sont des grandeurs exogènes, et avec le capital disponibles K à la fin de la période précédente, sont le point de départ de l’analyse économique. Selon la répartition de la propriété de ces inputs dans la population, et les préférences de chacun, des échanges ont lieu jusqu’à l’équilibre macroéconomique. Chacun de ces échanges est « créateur de valeur » puisque ceux qui y participent y trouvent leur compte. Le PIB produit pendant cette période est la somme des valeurs créées par ces échanges, mesurées en euros constants. Cela détermine pour la période suivante le nouveau stock de capital disponible, et ainsi de suite.

Si la quantité de ressources naturelles disponible est limitée par la physique, cela ne veut pas dire que le nombre d’échanges est limité. Le rationnement profitera à celui qui détient la ressource au début de la période. C’est pourquoi les économistes tentent de mieux définir les droits de propriété liés à la ressource naturelle « litre d’atmosphère sans CO2 » (notée J) disponible dans la nature, une ressource naturelle dont la quantité doit être limitée. On peut attribuer cette propriété à un Etat supranational, auquel les producteurs diminuant J paient un droit d’utilisation jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle la société ne leur reconnaît plus la propriété de J, et dont l’excès d’utilisation est puni de prison comme n’importe quel vol.

C’est la logique derrière les droits à polluer, et le théorème de Coase : la ressource J sera utilisée par les producteurs dont l’utilité publique (dépendante des préférences des gens) sera la plus élevée. Par exemple, si on a très peu d’atmosphère à allouer à la production de biens polluants, et que les biens polluants qu’on préfère sont les iPhones, on sera prêt à payer suffisamment pour nos iPhones pour qu’Apple puisse acheter une bonne partie de l’atmosphère disponible. Beaucoup de problèmes peuvent être ramenés à une question de droits de propriété a priori, dont la définition est loin d’être neutre sur la distribution des richesses a posteriori. Par exemple, l’héritage est une définition institutionnelle de ce qu’il arrive aux droits de propriété d’une personne décédée, et la façon dont les lois sur l’héritage sont conçues changent la dynamique des échanges au sein de la société.

Enfin, le rationnement d’une ressource sans innovation technologique permettant de s’en passer limite la production des biens et services utilisant cette ressource. Mais si la structure des échanges change, ou que le taux d’utilisation de cette ressource diminue, cela ne pose aucune limite à la création de valeurs, et la croissance infinie dans un monde fini est tout à fait possible. Mais il y a un gros travail institutionnel à fournir pour créer les bonnes incitations, pour définir le prix que nous sommes prêts à collectivement mettre sur les droits d’utilisation de notre environnement, et la théorie économique montre que cela ne peut être fait qu’à l’échelon de l’Etat.








Deutsche Ökonomen

"The ECB says these unorthodox measures are needed to combat looming deflation. Given that prices are still rising (albeit slowly – core inflation stands at 0.9 per cent) this seems little more than a fig leaf. Anyway, deflation is not a danger for southern Europe but an essential precondition for restoring competitiveness. This is nothing less than a fiscal bailout – something the ECB has no right to undertake, as the German constitutional court implied when it declared OMT unlawful."
Competitiveness in Southern Europe is a function of the gap between inflation there and inflation here, it is defined in relative, not absolute, terms. And I don't know what to answer to "prices are still rising, so there is no deflation risk". A first-year economics student would get a failing grade for saying that. 

I really don't get it. Is there a entirely different economic literature in Germany? Do they have completely different models we have not been told about? And this guy is not some obscure economist in a remote university, he's been ranked number one economist in Germany by RP online.

lundi 29 septembre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 1)

Cet article du Monde tente très maladroitement de résumer une passe d’armes entre Paul Krugman, le Nobel d’économie éditorialiste au NY Times, et Richard Heinberg, du Post Carbon Institute, auteur notamment d’un livre intitulé « The End of Growth ».

Dans sa tribune, Krugman s’appuie sur deux études récentes, une du New Climate Economy Project (organisation prônant une croissance équilibrée dont les équipes de recherche sont partenaires de la London School of Economics, de l’université Tsinghua, de l’institut de l’environnement de Stockholm…) et une autre du Fonds Monétaire International, pour soutenir que la réduction des émissions de carbone ne se ferait pas nécessairement au détriment de la création de richesse car :

1)
   elle s'accompagnerait de bénéfices immédiats. Par exemple, la réduction d’émission de carbone réduirait les maladies respiratoires, donc réduirait les dépenses de santé et augmenterait la productivité.

2)  
   les sources alternatives d’énergie sont de plus en plus abordables, à tel point que ce serait un choc négatif d’offre quasi nul de remplacer une bonne partie de nos émissions de carbone par des énergies propres.

La logique économique derrière ceci étant que si on remplace une énergie par une autre plus chère, cela augmente les coûts de production et réduit le potentiel de l’économie : à prix de vente identique, une plus grande partie des coûts de production est dévolue au fournisseur d’énergie, au détriment de l’emploi ou des salaires, ce qui réduit le pouvoir d’achat, donc in fine la production, et l’équilibre de l’économie se déplace vers moins de production et moins de consommation. Si la marche n’est pas très haute, cela vaudrait donc le coût de la franchir. Partant de là, Krugman accuse les décroissants d’involontairement faire cause commune avec les climatosceptiques en acceptant le postulat que le climat s’oppose à la croissance. La différence étant bien sûr que les décroissants y voient un argument contre la croissance plutôt que contre le climat.

La réponse de Richard Heinberg est beaucoup moins polémique que ce que le Monde sous-entend. Tout d’abord, il commence par nuancer le propos de Krugman, en écrivant que celui-ci néglige un certains nombres de facteurs. Certes, les coûts liés aux énergies propres baissent rapidement et les bénéfices immédiats ne sont pas négligeables, mais les projections les plus optimistes montrent qu’il faudrait réduire considérablement les émissions de carbone dans les 15 prochaines années, et que nous n’avons plus le temps d’attendre que l’ajustement se fasse. Aussi, quand bien même la production d’électricité était entièrement solaire ou éolienne, il resterait encore les émissions de carbone liées aux moyens de transport, nécessaires au maintien du niveau de commerce international que nos économies spécialisées requièrent. Comme il le dit, l’avion, la voiture et le tractopelle électrique ne sont pas encore très répandus.

Je ne pense pas que Krugman se fasse l’avocat du marché. Dans sa tribune, il ne soutient pas qu’il n’est pas nécessaire de faire des efforts et que l’innovation technologique suffira à infléchir la trajectoire des émissions de carbone. Au vu de ses opinions concernant l’austérité en ces temps de crise économique, je suis même persuadé qu’il verrait d’un très bon œil un programme massif d’investissement public de l’ampleur proposée par des économistes de l’environnement comme Gaël Giraud (voir ici un résumé), financé par la collectivité. Au final, c’est à nous de décider comment on souhaite que notre économie fonctionne, et on peut préférer réaliser ces investissements vitaux mais peu rentables à court ou moyen terme, plutôt que laisser le marché décider la vitesse à laquelle ils sont réalisés. Pour cela, il suffit d’être convaincu par l’urgence du réchauffement climatique, et s’apercevoir qu’en période de crise, où l’investissement privé s’effondre et où la Banque Centrale ne parvient que difficilement à injecter des liquidités dans l’économie, maintenant est probablement le moment idéal pour agir sans générer d’inflation.

Je n’ai personnellement aucune expertise sur le degré de réduction d’émission nécessaire à une économie soutenable, je ne connais pas bien les technologies nouvelles et n’ai pas non plus la moindre idée de leur capacité à régler nos problèmes. Par conséquent, j’ai tendance à croire les scientifiques dont l’immense majorité tire la sonnette d’alarme et pense qu’il faut réduire drastiquement les émissions. En aval des physiciens et des ingénieurs, il y a des économistes qui évaluent la faisabilité des projets et leur coût pour la société. In fine, l’argument de la plupart des militants écologiques est que le coût financier quel qu’il soit est inférieur aux coûts humains et que l’abitrage est toujours en faveur du climat. L’argument de Krugman est que le coût financier baisse très rapidement, donc peu importe de quel côté de l’arbitrage on se situait hier, il y a de fortes chances qu’on soit du côté du climat aujourd’hui. Il n’est donc pas nécessaire de prôner un changement radical puisqu’en faisant cela on perd le soutien d’une partie de la population, qui certes très égoïstement ne souhaite pas changer radicalement de mode de vie. Krugman ne conteste pas le diagnostic mais critique la méthode.

La deuxième partie de ce post étudiera pourquoi les physiciens et les économistes ne se comprennent pas sur ce sujet, alors même que nombre d’entre eux sont d’accord et travaillent ensemble mais chacun à leur manière à concaincre le public de la nécessité de la transition écologique

mardi 23 septembre 2014

Une cible de déficit mouvante est meilleure

"Having a deficit target to be achieved within the next five years, where that five year period remains as time moves on (a rolling target) seems far too easy. There is never a date by which we can unambiguously say that the target has been achieved or not. It would  seem much better to have a target for a fixed date e.g. current balance by 2020.
The problem with this logic comes when we approach 2020, and some unexpected shock occurs. Rather than adjusting to that shock gradually over the next five years, adjustment has to be very rapid. This breaks the first rule of fiscal management, which is that the deficit should be a shock absorber, not a rigid target.
In fact we are used to a similar idea from monetary policy. This attempts to achieve the inflation target within the next two years or so. (In the UK this two years used to be set in stone, but less so now.) The reason often given for this is that it takes some time for changes in interest rates to have their full influence on prices, but this is only part of the story. Interest rates have some impact on prices quite quickly, so it would in principle be possible to try and meet an inflation target with a shorter time horizon, but the reason this is not attempted is that it would lead to damaging variability in interest rates and output."

Révision du déficit 2013

Aucun journaliste n'a encore pigé que le déficit 2013 a été révisé à la baisse: Insee. Seul le flash eco du figaro a lu la publication de l'Insee jusqu'au bout, mais arrive à présenter cela comme une mauvaise nouvelle, puisque selon eux, le déficit de 4,4% prévu en 2014 traduirait un "dérapage" de 0,3 au lieu de 0,2 par rapport à 2013. Très fort. Mais sûrement faux, puisque que la prévision sera probablement révisée à la baisse une fois les nouvelles données de l'Insee intégrées... 



lundi 22 septembre 2014

Update : sexe, drogue et PIB

Finalement, un effet de 3,8% sur le PIB italien, sans changement important des taux de croissance :

Pour rappel : Sexe, drogue et PIB

Les règles budgétaires européennes sont plus souples que vous le pensez.

Lors de sa prise de fonction, François Hollande a promis que son gouvernement ferait le nécessaire pour réduire le déficit public dans les délais négociés avec Bruxelles. Le retournement de la conjoncture européenne et le ralentissement de la croissance ont mis à mal ces objectifs, et la France est à nouveau dans la situation où elle doit négocier une extension de deadline puisque l’objectif de 3% en 2015 ne sera probablement pas atteint.

Cette nouvelle extension de deadline est vécue comme un échec par l’ensemble de la presse, et du public français. L’emploi répété de métaphores scolaires (la France « mauvaise élève » de l’Europe) pour décrire la honte subie en réclamant un délai supplémentaire montre bien que les Français sont un peuple fier, jaloux de son indépendance, ayant une sainte horreur de la dette (seuls les ménages italiens sont moins endettés que les ménages français) et probablement à l'enfance traumatisée par l’école. La deuxième économie de la zone euro est effectivement dans une situation politique délicate à Bruxelles, puisque les institutions européennes ont été construites en grande partie sur la capacité des Etats à décider collectivement, plutôt que sur un système fédéral dans lequel le peuple Europeén est souverain. Ainsi, celui qui demande est toujours en situation d’infériorité par rapport à celui qui accorde. La décision appartient donc à celui des Etats européens qui a le plus de poids politique à l’instant donné, au lieu d’appartenir à un échelon européen indépendant des Etats. On se retrouve dans une situation où le reste de l’Europe se permet de mettre le nez dans ce que les Français jugent être leurs affaires personnelles.

Où se situe la souveraineté est un problème qui a en partie mené à la guerre civile aux Etats-Unis, et encore aujourd’hui il est monnaie courante dans la politique américaine d’opposer le gentil Etat au méchant fonctionnaire de Washington venu imposer ses contraintes. Personne ne s’attend à ce que les choses soient différentes en Europe, il existera toujours des forces centrifuges d’autant plus que les identitées nationales et régionales européenes sont beaucoup plus anciennes. Cependant, il me semble que la contrainte venue de Bruxelles serait bien mieux acceptée si Bruxelles se comportait plus comme un arbitre, appliquant des règles sur lesquelles tout le monde s’est mis d’accord a priori, et capable de tenir tête aux Etats, aussi bien ceux réclamant une application plus stricte que la lettre de la règle, que ceux réclamant un traitement préférentiel qui n’est pas prévu par les traités.

Que ferait donc une telle organisation européenne en abordant le cas du déficit français, à la lumière des règles budgétaires du traité de Maastricht ? Pour le savoir, il faut étudier les fameuses règles sur lesquelles tous les Etats Membres se sont accordées. La logique derrière les règles budgétaires n’est pas absurde, bien que l’urgence avec lesquelles elles furent votées n’était pas justifiée économiquement. Il est erroné d’expliquer la crise européenne par l’irresponsabilité des gouvernements. Avant 2008, les dettes publiques européennes étaient relativement stables et celle de l’Espagne, un des pays européens les plus durement frappé par la crise, était en baisse. Lorsque la crise a éclaté, la croissance a ralentit, les déficits se sont creusés et la dette en % de PIB a fortement augmenté. L’histoire grecque a servi d’épouvantail, mais aucun autre pays de la zone euro n’était dans la même situation. Même en Italie, où la dette publique est très ancienne, et est compensée par un très faible endettement privé. Néanmoins, la principale responsabilité des gouvernements est de stabiliser le ratio de dette publique à long terme. Pour cela, il ne faut pas seulement le stabiliser quand la situation économique est favorable, il faut le réduire. La dette française a suivi la même trajectoire que la dette allemande dans les années 2000 alors que la situation économique était nettement plus favorable en France. On peut donc considérer que l’attitude de l’Etat français était au mieux imprudente.

Les règles budgétaires européennes sont décrites sur le site de la Commission Européenne (gouvernance budgétaire sur le site de la DG ECFIN), et sont en deux parties :

1)
   Une partie préventive, qui permet d’éviter le dérapage du déficit public avant que celui-ci n’ait lieu. Les objectifs sont définis en termes structurels, c’est-à-dire hors effets de la conjoncture, en étudiant la sensibilité du déficit à la conjoncture et en fixant un objectif d’équilibre structurel suffisant pour que le déficit total, fluctuant avec la conjoncture autour de l’objectif, ne dépasse pas 3%. Pour la France, cela consiste en un objectif de déficit structurel de 0,5%. La dépense publique étant la donnée la plus difficile à ajuster rapidement, toute augmentation de la dépense publique en % de PIB potentiel doit être compensée par une augmentation équivalente des recettes.
2)
   Une partie corrective, pour le cas où le déficit est supérieur à 3%, et qui définit la vitesse à laquelle le déficit doit converger vers la limite de 3%. Cela consiste bien souvent imposer un effort structurel sur la période analysée, qui permet d’assurer le retour à 3%.

Le principal défaut de ces règles est qu’elles ne tiennent pas compte « a priori » de l’effet sur la croissance du rythme de réduction du déficit. Ainsi, la Commission européenne prévoit la croissance, en déduit la trajectoire du déficit si aucun effort n’est fait d’ici à la deadline, puis mesure l’écart à comber et le divise par le nombre d’années d’ici à la deadline. Ainsi, si un pays est à 4% de déficit et a deux ans jusqu’à la deadline, la Commission recommandera de réduire le déficit de 0,5 point par an. Seulement, si la réduction du déficit n’est pas compensée par d’autres facteurs (augmentation de l’endettement privé, de la demande extérieure), alors le déficit conjoncturel s’accroît et l’effort structurel est atténué, voire annulé si le multiplicateur keynésien est proche de 1. Ce manque de discernement a priori est en revanche compensé a posteriori : si la réduction du déficit structurel a un effet sur la croissance, cela se verra donc lorsqu’on comparera ce qui a été planifié par rapport à ce qui a été réalisé. Ainsi, dans une situation où les multiplicateurs budgétaires sont élevés (consolidation généralisée en Europe, peu d’activisme monétaire) la demande de délai supplémentaire est inévitable, à moins de redoubler d’effort en cours d’année lorsqu’on s’aperçoit du ralentissement de la croissance. Et encore, pour que cela fonctionne, il faut un multiplicateur inférieur à 1. Par exemple, s’il vaut 1/2 il faut un effort structurel de 1 point par an pour amener le déficit de 4% à 3% en deux ans.

Cet effet retour de la consolidation budgétaire avait été écarté à la création des règles, le consensus étant à l’époque que les multiplicateurs budgétaires sont proches de zéro quand la politique monétaire est opérationnelle. La crise financière rendu les instruments de politique monétaire traditionnels impuissants, et la BCE manque encore de volonté politique pour compenser cette impuissance. De plus, une relance monétaire n’est efficace que si elle relance l’endettement privé, ce qui n’est pas nécessairement une bonne idée, notamment en Espagne ou aux Pays-Bas. Le seul espoir pour ces pays est que l’effondrement de la demande interne soit compensée par une augmentation de la demande extérieure, ce qui est impossible si tout le monde consolide en même temps.

Peut-être faut-il donc comprendre les règles budgétaires à travers cette nouvelle situation économique, accepter le fait que les délais sont forcément trop optimistes a priori et qu’il faut mieux prendre en compte l’effet retour dû aux multiplicateurs pour éviter le psychodrame à chaque fois qu’un pays rate sa cible. Il faut mieux une règle souple bien appliquée qu’une règle dure mal appliquée. D’autant que la règle de Maastricht, même souple, est bien suffisante pour assurer une trajectoire saine. Par exemple, prenons les années 2000 en France. La conjoncture était bonne, les multiplicateurs keynésiens étaient donc probablement proche de zéro : toute réduction du déficit en France aurait eu des pressions déflationistes que la BCE aurait sû compenser. Le déficit était de 4% en 2003, et les facteurs conjoncturels étant légèrement positifs, cela se traduisait par un déficit structurel estimé aujourd’hui par la Commission à 4,8%. En supposant que les gouvernements Chirac aient su réduire le déficit structurel de 0,5 point par an juqu’à atteindre l’objectif de moyen terme, et que les multiplicateurs sont effectivement nuls, la dette publique française à l’aube de la crise aurait été de 54% du PIB, au lieu de 68%, et même avec une relance de 2 points de PIB en 2009 comme cela a été le cas, elle serait aujourd’hui stable autour de 64% au lieu d’augmenter et atteindre 93% en 2013.

Malgré tout, ces règles s’appuient sur une estimation du déficit structurel qui sont très fragiles à court-terme. Aujourd’hui, la Commission estime que le déficit structurel de la France était de 4,8% en 2003, mais à l’époque de l’ouverture de la procédure pour déficit excessif (le déficit total était de 4,1% en 2003), le déficit structurel était estimé à 3,8%. Ces estimations révisent considérablement, surtout lorsqu’une crise survient et qu’on est amené à révisé à la baisse la tendance, ce qui fait paraître la situation antérieure d’autant plus positive en comparaison de l’actuelle. Il n’empêche, même avec un déficit structurel estimé à 3,8% à l’époque, le respect des règles aurait conduit à une trajectoire de dette plus soutenable. Le graphique ci-dessous compare les trois situations, en train plein la trajectoire réalisée, en pointillé, la trajectoire avec un déficit estimé à 4,8% en 2003 et convergeant vers 0,5% au rythme de 0,5 point par an d’un côté, et 3.8% convergeant vers 0,5% de l’autre.  



On voit que l’erreur d’estimation du déficit structurel aurait eu peu d’impact. Une estimation plus basse du déficit signifie simplement que l’objectif de moyen-terme aurait été atteint deux ans plus tôt.

En revanche, dans le cas où la mesure du déficit structurel dépend de la conjoncture, elle ne corrige plus correctement l’effet de retour dû au multiplicateur keynésien. Ainsi, la Commission peut estimer à tort qu’un pays n’a pas rempli ses objectifs d’effort structurels en incluant une partie de la dégradation dans ses facteurs structurels. C’est tout l’enjeu de l’estimation de l’effort structurel aujourd’hui.

La dernière recommandation de la Commission Européenne (Lien) datant de mars 2014 est assez explicite : la Commission recommandait un effort de 1,3% en 2013 et de 0,8% en 2014 et 2015. L’effort mesuré est de 0.8% en 2013 et 0,5% prévu en 2014, mais en tenant compte des révisions de potentiel, il est estimé à 1,1% et 0,6%, soit 0,2 de moins que l’effort recommandé. La Commission demande donc à la France de justifier cet écart. La précision du calcul du déficit total est de l’ordre de 0,2 point, et celle du déficit structurel est encore pire. Il est tout à fait possible que cette estimation soit révisée en 2013 et 2014 à l’occasion des prévisions d’automne sur lesquelles la Commission se fondera pour évaluer les plans de la France.

Pour l’instant, rien ne peut conduire à penser que l’effort structurel jusqu’à présent était grossièrement insuffisant, surtout en étant modeste sur la précision de l’estimation de cet effort. La trajectoire de déficit structurel est extrêmement pentue, et approche l’objectif de moyen-terme de -0,5%. Le déficit résiduel sera donc principalement expliqué par des facteurs conjoncturels, sur lesquels le gouvernement a très peu de prises. En toute logique, en prenant la règle à la lettre, le délai devrait être étendu. S’il ne l’est pas, c’est que la Commission aura chamboulé son estimation du déficit structurel pour lui permettre de valider les préjugés des partisans de l’austérité à tout prix, convaincus que la France ne fait jamais assez. 



Dans l’histoire, ce ne sont pas les partisans d'une extension qui trahissent l’esprit de la règle, mais les partisans d'une application très étroite. 

vendredi 19 septembre 2014

Wikipedia à la solde du gouvernement

Je n'avais jamais remarqué avant qu'on m'envoie le lien, mais cela faisait longtemps que je  n'avais pas vu autant de statistiques positives sur l'économie française :


Gardez le moral! 

I'm an Alexandre Delaigue wannabe

Après un excellent exposé du hiatus entre le consensus économique et la politique européenne, Alexandre Delaigue frappe encore en expliquant pourquoi la politique économique de la France est ce qu'elle est depuis 2009, indépendamment de la couleur politique du Président. Comme je suis jaloux, je reproduis ici les deux articles. C'est complètement inutile puisque mes rares lecteurs sont probablement tous abonnés au blog d'Alexandre, mais c'est un moyen de marquer mon adhésion totale à ses propos. 

Ses articles ne traduisent pas une volonté de blâmer l'Europe pour tous nos maux, ni d'absoudre le gouvernement de toute responsabilité. Je les vois plutôt comme un encouragement à s'intéresser à la politique européenne, et d'arrêter d'y envoyer les déchets de la scène nationale : si les commissaires et députés européens sont incompétents, la politique européenne est catastrophique. La dernière commission Juncker semble être une évolution, du moins pour les commissaires nommés par les autres États Membres. Alexandre fait aussi passer le message qu'il ne faut rien espérer d'une alternance politique purement franco-française, et que le saut dans l'inconnu proposé par Marine Le Pen ressemble beaucoup à un suicide collectif. 


La politique économique pour les nuls
Supposons qu'en 2006, avant le début de la crise financière, vous ayez eu envie de savoir ce qu'il faut faire pour la croissance et l'emploi, en cas de crise économique. Vous savez que l'économie n'est certainement pas une science exacte, qu'il y a dans ce domaine des débats parfois virulents. Mais ce n'était pas le cas à l'époque, marquée par un assez large consensus sur le sujet. Vous auriez donc regardé un manuel, ou un cours de base, destiné aux étudiants débutants, pour savoir ce qui constitue l'opinion standard des économistes. Voici ce que vous auriez trouvé :
- Le meilleur instrument en cas de crise économique, ou d'inflation, est la politique monétaire de la banque centrale. Fondamentalement, les récessions s'expliquent par un manque de monnaie dans l'économie. Les problèmes de politique monétaire (en particulier les contraintes liées à l'étalon-or) expliquent l'essentiel de la crise des années 30. L'inflation est aussi un phénomène qui peut être combattu par la politique monétaire.
- La politique budgétaire (essayer de réguler l'activité par la dépense publique ou la fiscalité) ne sert pas à grand chose à cause du point précédent. Dès lors que la banque centrale a décidé de ce qui lui semblait être un objectif, elle peut contrebalancer l'essentiel des actions du gouvernement. Si celui-ci augmente son déficit pour élever la croissance à court terme, la banque centrale augmentera les taux d'intérêt et le gouvernement aura agi en pure perte. On pourrait ajouter que les délais et le mode d'action du gouvernement (un plan de relance doit être voté, mis en place, risque de donner lieu à des marchandages électoraux sordides) en font un instrument peu commode.
- Ces politiques permettent, si elles sont menées à bon escient, de faire en sorte que l'économie produise à son potentiel, c'est à dire, au plein emploi étant données ses structures (infrastructures, niveau d'éducation de la population, système réglementaire, etc). Si l'on veut élever le potentiel de croissance à long terme des économies, il faut modifier ces structures -  c'est ce qu'on appelle dans le jargon d'économiste des "réformes structurelles". il est en pratique bien difficile d'identifier ce que sont des réformes structurelles efficaces. Certaines mesures faisaient à l'époqueconsensus (pour les pays en développement) mais avec des résultats franchement mitigés. De manière générale, il n'y a pas grand chose que les gouvernements puissent faire pour élever la croissance à long terme.
Le débat japonais et la crise financière
Si vous aviez eu envie d'approfondir le sujet, vous auriez constaté que la situation de l'économie japonaise, à l'époque, donnait lieu à de nombreux débats. Se posait en particulier la question de ce que l'on peut faire lorsque la banque centrale n'a "plus de munitions", c'est à dire, qu'elle ne peut plus baisser les taux d'intérêt parce qu'ils sont à zéro. Il se passe en effet des choses étranges lorsque les taux d'intérêt sont à zéro, et la banque centrale a du mal à agir. A ce point, deux thèses étaient présentes. Pour les uns (comme le futur président de la Fed Ben Bernanke), la politique monétaire était encore possible, à condition de recourir à des moyens non conventionnels. Pour d'autres, la politique monétaire était rendue trop impotente par des taux voisins de zéro, ouvrant la nécessité de mener, en parallèle, une politique budgétaire active.
Ce débat n'était pas tranché - les débats économiques ne le sont jamais. On pourrait dire aussi que les économistes se trompent tellement souvent que se préoccuper de ce qu'ils racontent n'est pas très utile.
Mais lorsque la crise est survenue, De nombreux pays ont appliqué le manuel de base des économistes. Certes, cela n'a pas été de soi : la réalité est toujours plus compliquée que les modèles des économistes. Mais dans l'ensemble, la réaction à la crise a correspondu à ce que prévoyaient les manuels, avec les résultats prévus par ceux-ci. Un plan de relance budgétaire aux USA, une politique monétaire expansionniste puis non conventionnelle, menée par Ben Bernanke. Certains économistes lui reprochent de ne pas en avoir fait assez, d'autres auraient voulu un plan de relance budgétaire plus ambitieux (un débat qui reproduit le débat autour du Japon). En Grande Bretagne, la banque centrale a mené une politique expansionniste pour contrebalancer en même temps l'effet du plan d'austérité budgétaire du gouvernement Cameron, sans totalement y parvenir; là encore, c'est ce qu'un manuel d'économie de base aurait prédit.
En somme, l'économie de base ne se sort pas si mal de la crise. D'ailleurs, si vous cherchez un livre de vulgarisation à succès des questions macroéconomiques récent, vous n'y trouverez rien qui aurait choqué un lecteur de manuel d'il y a 10 ans.
L'exception européenne
Mais il y a une région totalement rétive à ce consensus : c'est l'union européenne. Comme le constate l'éditorialiste Wolfgang Munchau, il y a deux principales tribus d'économistes en Europe : Les "fiscalistes" qui prônent une politique budgétaire active; et il y a surtout les "structuralistes" qui constituent l'essentiel des conseillers gouvernementaux, pour lesquels la politique budgétaire ne peut qu'élever la dette publique, et la politique monétaire être inflationniste : seules comptent pour accroître la croissance les "réformes structurelles" consistant à flexibiliser le marché du travail. Et il n'y a pour ainsi dire aucun "monétariste" qui ferait de la politique monétaire l'instrument essentiel de la régulation macroéconomique.
En France, on aura de la peine à trouver un économiste accordant de l'importance à la politique monétaire. Même les plus éloignés du consensus, qui préconisent de sortir de l'euro, le font en se focalisant sur le taux de change (vieille obsession française) et les dévaluations. Après les annonces de la BCE, vous entendrez le plus souvent comme commentaire : "ce que fait la BCE c'est très bien, mais l'essentiel est  - de mener un grand plan de relance budgétaire et d'arrêter l'austérité budgétaire - de faire des réformes structurelles du marché du travail". Vous entendrez discuter de réformes. De formation de la main d'oeuvre, etc. Vous aurez bien du mal à trouver des analyses fines de la politique monétaire européenne, ou vous devrez aller dans le monde anglo-saxon. Et vous verrez couramment desanalyses monétaires du niveau d'un élève de troisième écrites par des gens très sérieux (au cas ou, voir ce rappel).
Et cette négligence a des conséquences. Ce n'est que depuis que la BCE a avec Mario Draghi un président qui connaît bien ces questions conjoncturelles, parce qu'il a fait ses études au MIT lorsque s'élaborait le consensus actuel, que la situation a commencé à s'améliorer. Sa politique récente revient à faire avec retard ce que les anciens condisciples de Draghi (King en Angleterre, Bernanke aux USA) ont fait il y a 5 ans. Il y a de bonnes raisons de penser que la BCE, a cause de sa construction institutionnelle très particulière, ne peut pas agir aussi facilement que la Fed ou la Banque d'Angleterre; Mais le temps perdu est considérable. L'étrangeté européenne, au regard du consensus économique, est très coûteuse.


C'est entendu : personne n'aime la politique économique du gouvernement. Le président est moins populaire que l'armée Islamique en Irak. Le gouvernement passe son temps à prendre des engagements qui sontviolés à peine l'encre sèche. Il fautchanger de politique!

Ce mécontentement perpétuel se heurte pourtant à deux écueils. Premièrement, bien qu'en ruine perpétuelle, la Francene se sort pas si mal de la crise. Mais aussi et surtout, parce qu'il est beaucoup plus facile de déplorer dans le vague les politiques du moment que de proposer des alternatives réalisables, à l'efficacité plus certaine.
Imaginons que le gouvernement souhaite éviter la déroute en 2017 élever la croissance et réduire le chômage rapidement. Que devrait-il faire?
Les limites de la politique budgétaire
Croissance faible, chômage élevé; les recommandations des économistes, sont alors d'utiliser les instruments classiques, la politique monétaire ou la politique budgétaire, et à plus long terme des réformes structurelles. La question est alors de savoir à quelle échelle ces politiques sont pertinentes. La monnaie unique empêche de mener une politique monétaire à l'échelle française.
Mais les possibilités sont aussi très limitées pour la politique budgétaire. Et pas seulement en raison des traités européens, qui sont facilement contournables Supposons en effet que le gouvernement français décide de mener un vaste plan de relance en envoyant promener l'austérité germanique. Si cela est fait sans concertation avec les autres pays européens, plusieurs facteurs risqueraient d'en diminuer l'efficacité.
- Une réaction des marchés financiers, redoutant de voir le retour de la zizanie en Europe. Cela ferait augmenter le coût du financement de la dette publique au moment précis ou celle-ci augmente, limitant la capacité du gouvernement à recourir au déficit.
- Une réaction de la Banque Centrale européenne. Si celle-ci s'oppose à la politique budgétaire française, elle a des moyens très efficaces pour la torpiller, qu'elle a utilisés avec succès contre l'Irlande, l'Espagne et l'Italie.
- Si l'on en croit Christopher Sims, l'efficacité de la politique budgétaire dans un pays déjà très endetté est limitée par la réaction des ménages, qui redoutent que la dette publique accrue ne préfigure plus d'austérité à venir. Un très grand nombre de français craignent pour leur retraite à venir (probablement à juste titre); les dirigeants d'entreprises redoutent aussi une pression fiscale future plus élevée, et redouteraient l'incertitude générée par un conflit entre la France et les autres pays européens. L'ampleur exacte de ce phénomène est difficile à mesurer, mais cela viendrait limiter un peu plus l'efficacité de la relance.
- la réaction des autres pays européens : si ceux-ci continuent leurs politiques d'austérité et de réduction des salaires en même temps que la France relance sa demande interne, leur compétitivité accrue fera que la relance française leur bénéficiera plus qu'à l'économie française.
Le mythe des réformes structurelles
L'autre domaine dans lequel le gouvernement français pourrait agir, à en croire les conseilleurs, c'est par des "réformes structurelles" dont le contenu est bien flou. Et pour cause: Il n'y a pas de consensus parmi les économistes sur les réformes réellement efficaces, à l'exception de quelques généralités floues : améliorer le système éducatif, augmenter la concurrence sur les marchés, limiter l'inefficacité du système fiscal, flexibiliser le marché du travail.
Lorsqu'on entre dans le détail, néanmoins, plusieurs problèmes apparaissent. Premièrement, le coût de ces réformes, pour être efficaces, est élevé. Coût politique d'abord : les niches fiscales et les monopoles sont âprement défendus par leurs bénéficiaires. Mais un coût financier également: il faut bien souvent payer cher pour réformer. Face à ces coûts et la capacité d'influence des lobbys professionnels, les réformes initialement ambitieuses sont rapidement vidées de leur substance lorsqu'elles sont converties en lois. Et peuvent au bout du compte laisser la situation pire qu'avant.
De plus, souvent, ces réformes conduisent à échanger des coûts immédiats et certains contre des gains futurs hypothétiques. Et ces gains dépendent de la conjoncture future. Par exemple, flexibiliser le marché du travail aura pour effet d'augmenter les embauches si l'activité est forte; mais cela provoquera plus de licenciements si l'économie reste déprimée. De la même façon, cela serait peut-être appréciable pour les français d'acheter leur aspirine dans un supermarché ouvert le dimanche; mais le gain que cela générerait serait dérisoire, si tant est qu'il existe.
Enfin, les réformes structurelles nécessitent aussi un degré minimal de concertation en Europe. Les réformes allemandes du début des années 2000 ont indirectement causé la crise de la zone euro, en créant des déséquilibres majeurs avec les pays du Sud.
Coût potentiel élevé, avantages potentiels lointains et aléatoires; Pas étonnant que les reculs soient nombreux. Le rapport Armand-Rueff préconisait de réformer les professions réglementées en 1960; la reculade du gouvernement n'est ni la première ni la dernière.
Desserrer la contrainte européenne, ou faire le bon élève?
Si réellement la contrainte européenne est si forte, pourquoi ne pas la réduire? Une première stratégie pourrait être de menacer de quitter la zone euro pour obtenir des changements de politiques; voire carrément, de quitter celle-ci. Ce genre de choix pourrait apporter quelques avantages (mais assez limités - on ne peut pas dire que la politique économique française était menée de manière mirobolante avant la contrainte de l'euro, et les dirigeants français ne deviendraient pas magiquement meilleurs) ou un effondrement majeur. En tous les cas, cela ouvrirait une période de très forte incertitude. Ce genre de situation, même lorsqu'elle ne se passe pas trop mal au bout du compte, comme lors de la séparation tchécoslovaque, est très volatile et peut facilement basculer.
Il est très peu probable que les français aient envie de ce genre de saut dans l'inconnu; L'électeur moyen a plus de 50 ans, pas un âge ou l'on fait un saut dans l'inconnu. Même la Grèce, dans une situation bien pire, n'a pas fait le pas de sortir de l'euro ou de menacer d'en sortir. On voit mal la France le faire - et les perspectives dans ce cas seraient extrêmement aléatoires, avec beaucoup plus de possibilités négatives que positives.
Dès lors qu'on a rejeté la possibilité d'une sortie, reste la solution d'essayer d'orienter les politiques européennes dans le sens le plus favorable possible. Pour cela, le mieux est de faire le bon élève, laissant les coudées franches à la BCE. Son président a esquissé ce qui constitue une politique qui soutient l'activité, en coordination avec son action.
Peut mieux faire
Et c'est à cela que ressemble la politique du gouvernement. Vis à vis de l'extérieur, en faire juste assez pour espérer qu'en échange, les politiques européennes deviennent plus favorables à la croissance. Vis à vis de l'intérieur, ne pas en faire trop, pour éviter les mécontentements et d'avoir un effet négatif sur l'activité économique. Cela n'a rien de très enthousiasmant et ne satisfait vraiment personne : mais c'est la solution logique dès lors qu'on perçoit les contraintes que l'on rencontre. Et cela est fait parfois de manière adroite, comme lorsqu'on lie l'amélioration des finances publiques à l'évolution de l'inflation.
Mais trop souvent, l'action du gouvernement apparaît comme purement réactive et brouillonne. Il y aurait certainement possibilité de diminuer les dépenses publiques et les impôts d'un montant plus important.Cela soutiendrait l'activité et l'effet sur le déficit public serait acceptable, dans un contexte ou la dépense publique française est jugée (à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet) trop élevée par les autres dirigeants européens.
Au lieu d'aller clairement dans cette direction, on assiste plutôt à un bricolage improvisé dans lequel on accumule des décisions de dépenses et d'impôts au gré des circonstances, dans le flou le plus total. Bien malin qui sait s'il paiera, l'an prochain, plus ou moins d'impôts que l'an dernier, entre les fluctuations de la TVA, des taxes sur les carburants, et de l'impôt sur le revenu (entre autres). Tout cela amoindrit l'effet de ces mesures.
Mais il ne faut pas se leurrer : étant données les circonstances, le gouvernement n'a pas beaucoup d'opportunités pour faire mieux.



jeudi 18 septembre 2014

Central banks balance sheets and growth

In times of depression, the more base money, the more GDP. Draghi promised to get the ECB balance sheet back to its 2012 level, that should be the least he can do. 



However, Japan is still struggling with low nominal growth despite BOJ activism and relatively good real GDP growth. One interesting remark, the FED managed to keep nominal GDP growth almost constant over the past five years, while the BOE stopped increasing its balance sheet, and nominal GDP slowed, which means they probably stopped to soon. 

NGDP targeting would be really awesome. 

lundi 15 septembre 2014

Supprimer des jours fériés est-il source de croissance?

Si on supprime deux jours fériés, et que toutes les conventions collectives, toutes les entreprises, tous les travailleurs indépendants s'alignent sur la mesure instantanément, alors on relève effectivement le PIB potentiel d'environ 1%. Mais ça ne booste la croissance potentielle que la première année, puisque pour relever de 1% supplémentaire l'année suivante, il faudrait encore supprimer deux jours fériés de plus. Et ainsi de suite. 

Mais ce n'est pas ce qu'il se passera. La plupart des conventions collectives accordent déjà plus de congés aux employés que le minimum légal, il y a peu de chance que cela change. Les indépendants adaptent déjà leur quantité de travail à leurs besoins et capacités, cette mesure n'aura aucun impact sur leur production potentielle. Enfin, s'il y a changement, cela sera probablement progressif. Donc si un cinquième des travailleurs augmente son offre de travail (la quantité d'heures) de 1% étalés sur trois ans, cela booste la croissance potentielle de 0,06% pendant trois ans. Pas très folichon. D'autant que les salariés qui travailleront plus sont aussi ceux pour lesquels le Medef veut réduire le coût du travail, il est peu probable que cette réforme les amène à gagner plus. 

En outre, si le PIB est contraint par la demande, augmenter l'offre ne change rien à la croissance réelle. Les réformes structurelles ne changeront pas la croissance tant qu'on ne sera pas capable de réduire l'écart de production (output gap) entre le potentiel et le réel. En revanche, augmenter l'offre, et donc à PIB réel contraint augmenter l'écart de production peut donner plus d'incitation aux autorités monétaires et budgétaires à relancer l'économie européenne : ça vaut plus le coup de mouiller la chemise pour combler 10% d'output gap que 5%. C'est un choix politique qui n'est ni rationnel, ni optimal d'un point de vue macroéconomique, mais si c'est ainsi que nos institutions fonctionnent, on peut essayer de raisonner sous cette contrainte. 

En tout cas, la proposition du Medef est archaïque et ne sert à rien d'autre qu'à cliver les opinions autour d'enjeux sans importance. Il vaut mieux accepter que la baisse du temps de travail est une tendance de fond dans une société qui s'enrichit, et que la France est peut être allée plus vite (mais pas tant) que les autres pays occidentaux dans ce domaine mais que cela ne veut pas dire qu'il faille revenir en arrière. C'est plus constructif de supprimer des barrières à l'entrée sur certains marchés, de permettre à chacun de se créer sa propre activité, de faciliter l'investissement et l'échange... Le statut d'autoentrepreneur par exemple est très intéressant, mais il y a encore trop de secteurs verrouillés, et le passage d'une activité d'appoint à une activité principale est trop difficile. 

Proposer des réformes structurelles qui auront un impact significatif et qui accompagnent les tendances de fond de la société est plus utile que ce que les partenaires sociaux ou représentants de professions réglementées seront jamais capables de proposer... 


vendredi 12 septembre 2014

Le déficit stagne, pourquoi et est-ce bien grave?

En soi non. Lorsque la croissance est plus basse que prévue, le déficit en ratio de PIB est plus haut que prévu. On sait pourquoi ça arrive et ce n'est une surprise pour personne, ce qui explique que les marchés n'aient pas bougé d'un iota à l'annonce par le gouvernement du non-respect de l'objectif en 2014. Pour cela, il faut comprendre comment les dépenses et les recettes réagissent à la croissance. 

Les dépenses sont en grande partie fixes, décidées en avance sous la forme d'une enveloppe budgétaire (G). Une petite partie dépend de la conjoncture, et augmente quand le PIB diminue (principalement les allocations chômages). Appelons p le poids de ces dépenses dans le PIB. 

Dépenses = G - p x PIB

Les recettes proviennent d'impôts proportionnels et d'impôts progressifs. Pour simplifier, on peut ranger d'un côté la TVA, la CSG, les taxes sur les produits, les cotisations sociales, qui sont proportionnelles (taux moyen a) au PIB, et l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les revenus, qui sont progressifs et augmentent plus vites que les revenus (B). À cela s'ajoutent des recettes qui ne dépendent pas directement du PIB (ISF, taxe d'habitation, etc...) qu'on peut déduire des dépenses G par simplicité. 

Recettes =  a x PIB + f(PIB) où B(.) est une fonction convexe (quand PIB augmente de 1%, B(PIB) augmente de plus que 1%). Par exemple posons B(PIB) = B x PIB² . 

Si on s'intéresse au ratio de déficit sur PIB cela donne: 
def = G/PIB - p - a  - B x PIB

Pour la France, les impôts proportionnels pèsent 35% du PIB, la politique de l'emploi environ 2,5%, les impôts progressifs 10% et le reste de la dépense publique 50%. Cela donne un déficit public primaire (hors intérêts de la dette) de 2,5 = 50 - 2,5 - 35 - 10 points de PIB. Ce qui nous intéresse, c'est ce qui fait varier ce déficit entre deux hypothèses de PIB. Soit n le taux de croissance du PIB nominal (entre deux années, ou la différence de prévision pour la même année), on obtient : 

Variation du déficit = -n x ( g + b) où g = G/PIB = 50% et b = BxPIB = 10% 
Donc la croissance se répercute à 60% sur le déficit. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, si la croissance est inférieure de 1 point (n = -1), le déficit est supérieur de 0,6 point de PIB. Cela s'appelle le stabilisateur automatique.

Dans toutes ces équations, PIB désigne le PIB nominal, c'est à dire non corrigé de l'inflation. Si l'inflation est plus basse de 1 point que prévu, cela a donc le même effet sur le PIB nominal que si la croissance est plus basse de 1 point. Dans le budget 2014, le gouvernement avait prévu 0,9% de croissance et 1,4 % d'inflation. Ces prévisions ont été revues à 0,4% et 0,5% d'inflation. Cela correspond à une augmentation du PIB nominal en 2014 de 0,9% au lieu de 2,3%, soit un ralentissement de 1,4% dû pour deux tiers au ralentissement de l'inflation (si on aime distribuer les baffes, il y en a au moins deux tiers qui vont à la BCE, voire plus si on tient compte du lien moindre inflation - moindre croissance).  

Est-ce qu'on comprend donc la révision du déficit 2014? Le gouvernement visait un déficit à 3,6 points de PIB initialement. Si la croissance nominale n ralentit de 1,4 point on s'attend donc à une révision du déficit à la hausse de 60% x 1,4 = 0,8 point, donc 4,4 points de PIB, soit la nouvelle prévision. On peut aussi dire que même si on attribue tout le ralentissement de la croissance à l'erreur du gouvernement, si l'inflation avait été de 1,4% comme prévu alors le déficit 2014 aurait probablement été plus proche de 3,8 points de PIB. Si l'inflation avait été de 2%, comme le mandat de la BCE le mentionne, la cible de déficit du gouvernement aurait même été atteinte, malgré l'erreur sur l'inflation. 

Ce mécanisme est d'ailleurs bien compris dans les règles budgétaires européennes, qui évaluent l'effort de réduction pour tenir compte du respect de la règle de convergence vers 3%. En l'occurrence, si le déficit stagne malgré une dégradation de la conjoncture, c'est bien que le déficit "sous-jacent" (qu'on appelle le déficit structurel) a été réduit, d'environ 0,8 point en 2014. En toute logique, si elle suit la logique de ses propres règles, la Commission devrait donc accorder un délai supplémentaire à la France pour repasser sous la barre des 3%. 

La mauvaise conjoncture n'est pas du tout une bonne nouvelle, mais la question qu'il faut se poser est la suivante : faut-il compenser cette mauvaise conjoncture par plus de coupes budgétaires ou plus de hausses d'impôts? La théorie économique suggère qu'en général, l'Etat ne doit se préoccuper que de stabiliser sa dette de long terme à un niveau déterminé, peu importent les fluctuations de la demande, qui peuvent être gérées par la politique monétaire. Avec une banque centrale efficace, redoubler d'effort pour réduire le déficit n'a pas d'impact sur la croissance et les stabilisateurs automatiques sont inutiles. Si la banque centrale faillit à sa tâche, alors il est utile de laisser jouer les stabilisateurs. Mario Draghi, qui appartient au camp des économistes pensant que les Banques Centrales ne peuvent pas tout, a d'ailleurs encouragé les gouvernements de la zone euro à laisser la politique budgétaire jouer son rôle stabilisateur. D'autant que les taux d'intérêt sur la dette n'ont jamais été si bas.

PS1 : On peut remarquer qu'une partie des impôts progressifs payés en 2014 sont en fait assis sur les revenus 2013, donc ne dépendent pas directement du PIB 2014. C'est le cas des impôts sur le revenu et d'une partie de l'impôt sur les sociétés. L'élasticité du déficit à la croissance (les fameux 60% ci-dessus) est donc probablement comprise entre 50% et 60%. 

PS2 : Une règle amusante de politique monétaire consisterait à cibler non pas l'inflation mais la croissance du PIB nominal. Outre que ce serait un instrument plus efficace de politique monétaire, cela faciliterait grandement la tâche des gouvernements.  







Coût du travail : L'Allemagne est un point aberrant et ne doit pas être imitée

Excellent post de Francesco Saraceno: Lien.
"The figure shows the difference between change in labour costs in a given country, and the change in Germany (from 1999 to 2007). labour costs in OECD economies increased 14% more than in Germany. In the US, they increased 19% more, like in France, and slightly better than in virtuous Netherlands or Finland. Not only Japan (hardly a model) is the only country doing “better” than Germany. But second best performers (Israel, Austria and Estonia) had labour costs increase 7-8% more than in Germany.
Thus, the comparison with Germany is misleading. You should never compare yourself with an outlier! If we compare European peripheral countries with the OECD average, we obtain the following (for 2007 and 2012, the latest available year in OECD.Stat)

If we take the OECD average as a benchmark, Ireland and Spain were outliers in 2007, as much as Germany; And while since then they reverted to the mean, Germany walked even farther away. It is interesting to notice that unreformable France, the sick man of Europe, had its labour costs increase slightly less than OECD average.
Of course, most of the countries I considered when zooming out have floating exchange rates, so that they can compensate the change in relative labour costs through exchange rate variation. This is not an option for EMU countries. But this means that it is even more important that the one country creating the imbalances, the outlier, puts its house in order. If only Germany had followed the European average, it would have labour costs 20% higher than their current level. There is no need to say how much easier would adjustment have been, for crisis countries. Instead, Germany managed to impose its model to the rest of the continent, dragging the eurozone on the brink of deflation.
What is enraging is that it needed not be that way."