lundi 23 février 2015

L'OFCE, le déclin productif et la gouvernance partenariale

Pour mon premier billet en tant qu’invité sur ce blog, je commence par un conseil de lecture. L’OFCE vient de sortir un document de travail sur le tissu productif français. Un énième article sur le déclin de l’industrie en France ? C’est depuis une bonne décennie un grand classique des commandes de rapports, des livres d’économie politique grands publics et des think-tanks plus ou moins portés sur l’économie. Oui mais cet article, coécrit par Xavier Ragot et surtout Michel Aglietta apporte un regard vraiment original. Avec eux, on dépasse rapidement l’alternative classique entre politique d’offre (en prenant systématiquement exemple sur le modèle allemand) et relance par la demande. L’article insiste plutôt sur les questions financement des entreprises, gouvernance actionnariale et qui pose même la (très bonne) question “est-il raisonnable de considérer que ce sont les actionnaires qui possèdent l’entreprise ?”.

En revanche, certains points de l’analyse macro de l’article me semble mériter quelques éclaircissements. L’article parle de la situation “paradoxale” du financement des entreprises en France. Pourquoi, se demande l’article, alors que la rentabilité du capitale est si basse, les entreprises ont-elles continué à investir ? Ça n’est pas tant un paradoxe qu’un enchaînement malheureusement logique de circonstances à mon sens…

Que les auteurs souhaitent que les entreprises montent en gamme plutôt qu’elles se contentent de renouveler leur capital et qu’ils se demandent pourquoi ça n’est pas le cas, on le comprend facilement. Mais pourquoi serait-ce un paradoxe ? Le constat qu’ils font d’entreprises qui ont utilisé la baisse des frais financiers pour augmenter la rémunération des actionnaires explique à mon sens assez bien pourquoi le taux d’investissement ne s’est pas dégradé (les dividendes ont été financées par les taux d’intérêts bas)... et pourquoi en revanche le passif financier des entreprises, lui, s’est dégradé ? Eh bien on peut justement penser que préférer les dividendes à l’investissement n’aide pas vraiment de ce côté-là ! Et si les entreprises ont investi à “courte-vue” dans le renouvellement de leur capital, cela s’explique - et la suite de l’article le montre - par une mauvaise gouvernance et une place trop grande prises par les actionnaires. Quant au paradoxe initial, la baisse de la rentabilité du capital qui n’a pas donné lieu à une baisse de l’investissement, on peut prendre le problème à l’envers : comme on l’a vu l’investissement est resté en ligne avec l’activité mais s’est concentré sur le renouvellement, et ceci a fait nécessairement chuté la rentabilité moyenne du capital (il paraît assez probable que la montée en gamme et la modernisation soient plus profitables que le renouvellement du capital !). Une question qui reste alors est de savoir s’il s’agit d’une stratégie choisie (par crainte du risque ou la volonté d’assurer des rendements de court-terme, ce que semble suggérer l’article) ou subie (car la structure du capital productif actuel nécessiterait un renouvellement plus fréquent).

Une deuxième petite remarque : l’argument de l’investissement dans l’immobilier ne tient pas. En effet l’investissement hors immobilier n’a pas tellement baissé non plus (voir le graphique ci-dessous tiré de ce rapport de BPI France).

Taux d’investissement hors construction des sociétés non financières

Et, comme le montrait une étude de l’Insee, l’investissement - même en dehors de l’immobilier - est globalement en ligne avec son comportement attendu au vu de l’activité. En d’autres termes, l’immobilier n’explique pas vraiment le “paradoxe”.

Dans la deuxième moitié de l’article Aglietta (j’imagine que cette partie est de lui) montre que s’il faut s’inspirer de l’Allemagne, c’est surtout du côté de l’organisation de son système productif (Mittelstand) qu’il faut regarder, et surtout que le système actionnarial français produit un modèle de financement structurellement inefficace. Il invoque pour ça, avec beaucoup de pédagogie, la théorie des contrat et propose même une alternative, la gouvernance partenariale. Il faut parfois un peu s’accrocher pour ceux qui n’ont pas calculé des équilibres de Nash depuis longtemps, mais le tout reste assez clair et pédagogique.

En dépit des quelques remarques, article excellent article, donc, qui sort des poncifs habituels sur la politique industrielle française, et qui donne envie de soutenir les voix trop souvent marginalisées de l’économie française !